Lentement, mais sûrement, je finis par quitter le Crusader. Tout semble tourner autour de moi... Est-ce Hastur qui cherche à tromper mes sens où les litres de Vodka qui m'ont mise dans cet état ? C'est en trébuchant sur le trottoir que j'opte pour la seconde option. Depuis quand n'avais-je pas bu comme ça ? Alors que la réalité quant à mon état se trouve assez difficile à avaler, je déverse le contenu de mon estomac sur le trottoir, appuyée à un lampadaire.

Tout en titubant, trébuchant, maugréant... Je regagne mon chez moi. Lentement. Combien de temps ai-je déambulé telle un des pantins de Swan ? Je l'ignore. Je m'en fiche. Le Silence d'Hastur me réconforte, c'est tout ce qui compte. Ne plus l'entendre. Ne plus ressentir qu'il est là. Être seule, un peu. De nouveau. Et dans cette solitude, je m'affale sur mon lit. Est-ce le monde qui ne tourne plus si rond, ou ma tête ? Et je sombre. Et je sombre.

Quand je reviens à moi, le soleil me brûle les paupières. Le bruit ambiant est tonitruant. Impressionnant. J'envoie mon bras tâtonner mon matelas, à la recherche d'un oreiller pour me couvrir les oreilles... Mais rien. Pas de matelas. Pas d'oreiller. Pas de couverture. Juste moi, seule, sur le toit d'un immeuble, en plein jour. Les yeux toujours fermés, je porte ma main à mon visage, cherchant à le frotter... comme si je pouvais faire partir toutes les désagréables sensations de ma gueule de bois si facilement...

Mais ce n'est pas ma peau que je rencontre. Non. Juste le contact froid et lisse de mon masque. Alors... Alors brusquement, je me relève, la panique me faisant tout oublier. Ma nausée, ma tête qui tourne. Mes courbatures. Tout s'en va. J'ouvre les yeux et inspecte ma tenue. Quand me suis-je changée ? Comment ? Tout ce qui est à peu près valide de mes pensées appelle Hastur. Pas de réponse. Un léger ricanement lointain. Mais... C'est impossible. Est-il déjà capable de... Non. Si ? Je prends ma tête entre mes mains... Je pense trop. Trop vite je...

La bile s'étale à mes pieds. Je dois rentrer. Et vite. Quoi que... Non. Je dois aller ailleurs. J'ai besoin d'aide. Et vite. J'ai VRAIMENT besoin d'aide. Je me rue vers la porte qui me permettra de quitter ce toit.

Partir.

Je dévale les escaliers, trébuche, tombe...

Trouver de l'aide.

Mais où ?

Louis ? Non.

Pas en plein jour.

Les autres ?

Non plus. Ils ne savent rien de ça.

J'arrive au pied de l'immeuble. Mais où suis-je ?! Quelle rue ? Quelle...

Je fouille mon pantalon. Portable. Appels manqués. Messages. Ignorer. GPS.

Un autre Héros ? Hua ? Non plus. Elle doit me détester.

Edwin ? Il en a déjà fait beaucoup.

Alors...

Je me met à courir, déambulant dans la rue comme une aliénée. Comme si j'avais les pires horreurs du monde aux trousses. Comme si je l'avais lui aux trousses. Les passants s'écartent. Mon costume sert au moins à quelque chose. Est-ce moi ? Est-ce Hastur ? Qui de nous deux nous a conduits là ? Toi.

Enfin il répond. Mais pourquoi ? Comment ? Tout ce dont je me souviens, c'est de m'être effondrée à cause de l'alcool.

Une intersection. Je la reconnais. J'y suis presque. Encore un bâtiment... une ruelle. C'est un raccourci. J'arrive enfin à destination. Le centre Joker. C'est ici que j'aurai de l'aide. Oui.

J'entre comme une furie, et me jette sur un des bureaux du hall d'entrée. Affalée dessus, j'implore le conseiller qui s'y trouve. Je n'ai plus de souffle, pourtant, j'arrive à lui faire part de ma requête.

Aidez-moi. Pitié.

Je n'arrive pas à saisir ce qu'il se passe autour de moi, je m'écroule en larmes sur le sol. C'est ainsi que King in Yellow allait devenir la risée du centre. Tant pis. J'ai besoin d'aide. Quelqu'un m'attrape par le bras, et m'aide à prendre appui sur son épaule. Il m'accompagne vers l'ascenseur. Dedans, les étages défilent. Il me parle, mais je ne comprends pas ce qu'il dit. Plus jamais je ne boirai autant. Non Hariett. Plus jamais tu n'oseras me contrarier.

Je frissonne. Alors c'était bien Hastur.

La personne qui me transporte me conduit dans une pièce. Elle m'allonge sur un lit, et quitte les lieux, sans mot dire, fermant la porte derrière elle. Je me retrouve seule. Avec lui. Avec moi.

Je prends peur. Je ne veux pas. Je ne veux plus. Un tentacule se forme et fouette l'air autour de moi, avant de s'écraser lourdement contre le mur. Je hurle, terrorisée à l'idée de rester seule. Et la panique s'enfonce dans mon coeur. Un autre tentacule apparaît, frappant les murs, le sol.

Aidez moi. Pitié. Ne... NE ME LAISSEZ PAS SEULE !!!

Je hurle. Plus fort. Personne ne vient. Pourquoi ? Pourquoi ?! Ma voix déraille. Je me met à marmonner.

Pas seule... pitié...

Les tentacules disparaissent. J'éclate en sanglots. Pourquoi m'ont-ils laissée seule ?

Doucement, la porte s'ouvre. Quelqu'un entre.

Je vous ai dit que je revenais. 'Faut pas vous mettre dans cet état... On essaie de joindre quelqu'un pour vous aider. Mais j'ai besoin de savoir quel est votre problème.

C'est une voix de femme. Je ne la reconnais pas... Mais elle me calme un peu.

Alors, entre deux sanglots, j'essaie de lui expliquer.

Dans ma tête... Il y a cette chose... Il prend peu à peu le dessus... Je veux juste qu'il me laisse. Qu'il me laisse vivre...

Je relève mon masque et le jette au sol, dévoilant mon visage défiguré par les pleurs.

Je veux que sa voix se taise... Je veux pouvoir être moi... Pitié...

La femme s'approche, et passe sa main sur mon visage.

Je pense savoir qui exactement peut vous aider. Je peux vous laisser là ? Si la porte est ouverte ?

J'acquiesce, lentement. Elle recule, doucement, et quitte la pièce. Peu à peu, je m'endors. De nouveau. Apaisée. Je ne suis pas seule. Non... Je ne suis pas... seule.

Un bruit lointain, comme une mélodie… Une mélodie plate, sans musique… Quelqu'un qui parle ? Assise en tailleur au milieu de la pièce, je sors lentement de mon semblant de torpeur. Me suis-je endormie ici, ai-je bougé ? Je ne me souviens plus. La tête baissée, les yeux entrouverts, le visage caché par ma capuche, j'essaie de reformer la phrase dans ma tête.

Des bruits de pas, très légers. Si la précédente y a échappé… Non. Non Hastur. Personne ne sera blessé. Tu ne recommenceras pas. La personne se rapproche, fait quelques pas, puis pose une chaise au sol, avant de s'y assoir.

Elle me parle à nouveau, d'une voix claire. Du grabuge ? Non, ce n'est pas vraiment ça… J'ai… Juste… Je sens mon pouvoir m'envahir avant de disparaître. Je bénis ma propre faiblesse, protégeant la bonne âme qui semblait vouloir me tendre sa main, m'aider à revenir parmi les miens. Ne la bénis pas trop, ma chère. Dès l'instant où tu récupères, je lui fais voir mes pires horreurs. Oh que non, ça n'arrivera pas. Je me lève, silencieuse, ramassant la couverture qui avait glissé du lit, et l'oreiller. Je pose la couverture en ligne, aux pieds de celui qui est venu me rendre visite, toujours incapable de le regarder, puis je compte cinq longs pas. De quoi le tenir réellement en sécurité. J'y pose l'oreiller, m'assieds dessus, et relève enfin la tête, dévisageant mon visiteur, et…

Mon cœur manque un battement. Mes poumons oublient d'aérer mon sang. C'est… Lui ? Laughing Jack. En personne. LA légende. Alors c'est lui, les secours du centre Joker ?! Non… Si ?

Je… Je suis désolée de vous avoir ignoré, j'ai… Je… Comment dire… J'ai perdu le contrôle. Alors, avant tout… S'il vous plaît, ne dépassez jamais la couverture. Enfin, d'ici dix minutes, je pense. Je ne voudrais pas vous faire de mal. Mais lui, il n'attend que ça. Je ne sais pas ce que vous a expliqué le Centre. Mais ils ne savent pas tout. Je crois. Je suis King in Yellow, une Joker Fantastique, et mon don me vient d'Hastur, l'Indiscible, le Roi Jaune, une entité sans âge qui a vu naître et mourir les mondes et les réalités. Il est aussi le créateur de la magie et le grand maître des sorciers.

Je marque une courte pause, et renvoie ma capuche en arrière.

Hastur a écrit:

Le gamin n'est pas seul.

Il y a quelque chose avec lui.

Quelque chose de puissant.

Pas autant que ce que je ne le serais si je n'étais pas scellé, mais de puissant quand même.

Trop pour moi.

Trop pour elle.

Serait-ce à même de contrarier mes plans ?

Non.

Je ne l'ai pas toléré.

Mais je ne prendrai pas de risque.

Doucement, je laisse s'échapper un fragment de mon essence, me donnant une forme onirique.

Une sorte de créature tentaculaire, n'ayant rien de ma superbe.

Vexé par le résultat, je m'essaie à le grossir encore…

Mais en vain.

Le sceau reste efficace, et je ne peux faire guère mieux.

Et je le vois, cet être onirique, me prendre de haut…

Pauvre petite chose, si ce sceau n'existait pas, je t'aurais déjà banni de l'existence et de la création.

Je lui adresse simplement un regard poli, empli de mépris.

Car c'est là tout ce que je ressens pour cette erreur dans mes plans.

Du mépris.

Enfin, là, ce n'est qu'un contexte… Mon problème, c'est qu'Hastur a décidé de reprendre sa liberté, de m'utiliser à nouveau, et ce dès que le sceau qui le contenait a été endommagé.

Je relève ma manche et dévoile, sur mon bras, des motifs géométriques, dont certains sont traversés par une longue cicatrice, là où Edwin m'a soignée. Une légère lueur jaunâtre émane d'ailleurs de la cicatrice, prenant la forme de tentacules façonnés dans un plasma spectral impossible. Grotesque… Hastur force contre le sceau, essayant vainement de repousser des limites qu'il ne pourra, sans mon aide, jamais atteindre. La cicatrice se met à picoter, comme si ce plasma lumineux prenait réellement substance avant de s'évaporer. Non… Ce n'est là que le fruit de mon imagination. De notre imagination.

Délicatement, je détache les fourreaux de mes bâtons de mes avant-bras et les envoie rouler vers la porte, derrière Laughing Jack, puis redescends ma manche gauche.

Excusez-moi. Je ne veux pas que quoi que ce soit lui serve d'arme. Je ne sais pas comment il pourrait réagir… Enfin… Je reprends. Ces motifs, sur mon bras, me permettent de ne pas subir de plein fouet l'influence d'Hastur… Seulement, depuis que certains ont été brisés, il revient… Et cette nuit, après une soirée arrosée, il a réussi à prendre… le con… le con…

Je sanglote. Ma gorge se serre. Je ne supporte pas l'idée qu'il puisse avoir le dessus.

le contrôle. Pardon… Il m'a… emmenée sur un toit, pendant que je dormais, et m'a menacée. Étant en moi, il sait où appuyer… pour me faire mal… Dans la vraie vie, je suis artiste. Mais j'arrive toujours à jongler entre mon métier et ma carrière de héros. Mais si jamais on venait à découvrir que je suis aussi un héros… J'ai peur… Et si il venait à prendre le contrôle ? À blesser des innocents ? Je… Je veux juste aider la population moi…

J'ai la gorge sèche. En mon for intérieur, je sens le monstre se gausser. Il sait que quoi qu'il arrive, il aura le dernier mot.

« Du coup, oui, la conclusion importante. On me disait « oui, Jonas », car mon prénom c’est Jonas, « tu as un don qui te lie à une entité malfaisante, fais attention » et je sais très bien qu’il est vraiment là, je l’ai déjà vu à l’œuvre dans la tête d’autres individus et avec du recul, dans ma tête à travers mes propres actes MAIS je suis un doté fantastique. Et c’est important ! Tu es aussi fantastique ! Et tu sais ce que ça veut dire ? Qu’on a vachement de chance par rapport aux mythologique qui doivent supporter des vrais dieux qui ont forgé l’histoire et les peuples et tout… parce que ce qui nous donne nos pouvoirs, ce sont des histoires. »

Hastur a écrit:

Oh.

Non.

SILENCE HUMAIN.

Sait-il ce qu'il fait ?!!

Je matérialise, tant bien que mal un tentacule

Je le pointe sur la chose

Puis lui fait signe de faire taire son humain

Il ne sait peut-être pas faire ?

Non, il doit l'ignorer...

MAIS FAIS-LE TAIRE !!!

Il me fixe, amusé. Amusé ?!

Rirait-il de moi ?

Je le lui ferai payer.

« Et oui ! Moi comme j’ai dit, le Laughing Jack c’est un personnage de cripi… cripy… creepy… creepy pasta oui ! Et du coup c’est parce qu’il y a des malades sur internet qui trouvent ce genre d’histoire trop drôle qu’il a finit par déteindre vraiment sur le monde. Toi ça doit être pareil, et le plus important déjà pour bien se rendre compte que tu as le contrôle sur tout ça, c’est que s’il te raconte des trucs comme quoi il est le conquérant de plusieurs monde et tout, il est moins dans la vérité que tu ne le sera jamais. Il a peut-être un contrôle sur toi, mais déjà ce qu’il faut c’est du recul. Alors respire profondement et parle moi de lui. »

A mesure qu'il parle, mes pensées fusent, se troublent. J'ai parfois du mal à comprendre ce qu'il dit, la voix du Très Ancien résonnant dans mon esprit, chargée de menaces, de mises en garde. Je ne devrais pas écouter cette personne. Je devrais le tuer. Le bannir de cette réalité. Le rendre fou. Je devrais... Non. C'est un héros. Une Légende. Mon Patron. Et il est là pour moi. Je n'ai pas le droit d'essayer. Comme il me l'a demandé, j'inspire profondément, calmement, et ignore l'Ancien. Peu à peu, sa voix ne me dérange plus. Puis il hurle, et ma concentration s'efface. Je lutte un moment, lui hurlant, dans mon crâne, de se taire. Les sceaux me brûlent, et ma tête commence à tourner... Puis plus rien. Il s'est calmé ? Ou bien..? Je ne sais pas. Mais ce silence soudain me fait un bien fou. Dans le fond de ma tête, je l'entends rire. Alors il a autre chose en tête ?

Restant sur mes gardes, je commence à tout raconter à Jonas. (Il s'appelle Jonas ? C'est quand même amusant comme nom...) Mon enfance, mon besoin de justice et la façon dont Hastur m'aidait à l'assouvir. Les brutes de mon école que j'ai corrigées... Puis mes années collège, tranquilles, où mon don était encore sous contrôle, où tout le monde veillait à nous laisser tranquille, mes amis et moi. Et enfin l'incident. Le Lycée, le voyage scolaire, le moment où j'ai totalement perdu le contrôle. Les criminels portés disparus, dévorés par mon pouvoir, et enfin mon exil... Je passe le nom de R'lyeh sous silence, dans un premier temps. Il ne veut pas que cela se sache... Pourquoi ? Puis je reviens sur la cité. Je la lui décris, lui explique comment elle est, comment y aller. La façon dont il m'écoute me rassure. Alors je lui parle librement de R'lyeh. Hastur n'en dit rien. Il ne réagit pas. Il se contente simplement de ricaner dans un coin de mon esprit.

Ce que m'a dit Jonas quant à la réalité me trotte toujours dans la tête. Et alors que je pense à la possibilité qu'Hastur ne soit pas réel, je vois Jonas se lever. Horrifiée, j'assiste à son premier pas. Son deuxième pas. Il s'approche de moi... Je n'ai pas le temps de crier que mon aura se libère. Dans mon crâne, Hastur hurle de rire. J'ai gagné, Hariett. Non... NON !

J'assiste alors aux quatre secondes les plus longues de toute ma vie, impuissante.

Hastur a écrit:

Devant moi, se tient l'humain, pris dans mon Monde. Je lui apparais sous ma forme la plus sobre, la plus simple. Des tentacules s'allongent sous mon long manteau jaune, couvrant peu à peu les dimensions impossibles pour son cerveau. Lentement, je l'étreins, le tirant vers moi, puis envoie voler le fragile vêtement qui me couvre. Mes proportions redeviennent ce qu'elles sont réellement. Je suis immense. Imposant. Libre. Réel.

Les voix silencieuses et tonitruantes lui hurlent dessus. Peut-il les entendre ? Va-t-il les comprendre ? Doucement, je glisse à son oreille des mots, les faisant couler vers son tympan. Les idées visqueuses se mettent ensuite à brûler dans son esprit.

BRISE LES SCEAUX

Des images s'évaporent devant ses yeux, formant une divine mélopée. Les sceaux, tatoués sur le bras de Hariett, couverts de blessures, puis des tentacules, jaillissant, se plantant dans ses globes oculaires. Les sons, les formes, ses sensations, tout se met à changer, encore. Sa gauche et sa droite, le haut, le bas... Ces notions se font de plus en plus abstraites. L'air devient de la pierre, et la pierre de l'air... Je joue encore avec ses sens, lui susurrant de lourdes vérités sur mon univers, gravant en lui, le temps de cette illusion, qui je suis réellement. La peur de ma puissance. Puis je sens son corps disparaître. Peu à peu. Une dizaine de minutes vient de s'écouler ici. Quatre secondes dans la réalité de cette chère Hariett.