Rien.
Il n’avait ni faim, ni soif, ni sommeil. Ça faisait une semaine. Edwin avait accepté à contrecœur ce test que Beathan avait voulu tenter. Et Beathan était à la fois effrayé et fasciné par ce qu’il découvrait. Il ne se sentait pas… vivant ? Au début il pensait qu’il avait appris dans la rue à avoir moins faim et soif, mais plus le temps passait, plus il se rendait compte qu’il ne sentait plus ces besoins les plus basiques.
Assis sur son lit, il pensait. Il n’avait pas de mot à placer sur ce qu’il était, à part « mort ». Il était mort. Tué, et pourtant, il n’avait pas rejoint l’autre côté comme il aurait dû. Il tremblait, mais il n’avait pas froid. Il plaça sa main sur son torse, et il n’avait pas de trace, là où il avait été mortellement blessé, quelques mois plus tôt. Il avait envie de vomir, mais il n’était pas malade, il sentait un malaise de plus en plus profond se saisir de lui, il n’avait peut-être pas le droit d’être vivant. Il pleurait, mais il n’avait pas de larmes.
Ses cheveux blancs, pâles, ne faisaient que confirmer le fait qu’il était mort en même temps que ses parents, mais il n’avait pas eu le droit au paradis, ou à l’enfer, ou même au purgatoire, il était sur terre, et il n’y avait aucun moyen pour lui de savoir ce que cela voulait dire.
Quel plan le ciel avait en tête pour faire du mal à Beathan ainsi ?
Toujours assis sur son lit, son être glissa dans le monde des morts, et après quelques secondes de flottement, il décida se sortir de sa chambre. Il voulut prendre la poignée, mais décida plus simplement de passer au travers de la porte, et il ne ressentait rien, ni le toucher du bois, ni la résistance de la porte quand il avançait. Il sortit dans la rue, et observa le ciel de ce monde gris. Des âmes par milliers dansaient dans le ciel de Laurel, en route vers l’au-delà, et Beathan n’en faisait pas partie. Il prit place sur la marche de l’entrée de la maison, et resta inerte, à observer le spectacle des âmes dans le ciel.
« Excuse-moi, petit, je peux te parler ? »
Une personne brisait le silence et la solitude de l’enfant, un vieil homme, aux cheveux grisés par le temps. C’était un mort, un fantôme de plus dans cet endroit vide de toute vie. Beathan se retourna vers l’homme. Il n’avait plus peur des simples fantômes, avec le temps il avait appris à vivre avec : il le regarda longuement, sans vraiment répondre, il n’avait pas la force de parler à quelqu’un.
« Je… je ne pense pas pouvoir vous aider, monsieur, allez voir quelqu’un d’autre. »
Le vieil homme s’approcha, et s’assis près de Beathan, et observa le ciel avec lui. Ils restèrent de longues minutes, à regarder ce spectacle à la fois fascinant et effrayant.
« Ils sont chanceux en vrai. S’ils ont là-haut, c’est qu’ils sont partis en paix, sans réel regret qui les forcerait à rester. Et nous, on est là, au sol, à les voir s’envoler, et on ne peut pas les rejoindre. »
Beathan restait silencieux. Il ne pouvait qu'être d'accord avec le vieil homme, lui aussi devait avoir une raison d'être sur terre, mais contrairement à Beathan, il la connaissait probablement.
« Mais tu n’es pas vraiment un fantôme, hein ? Tu es encore bien attaché au monde réel. »
Il se retourna, l’air étonné, ça n’aurait pas dû sauter aux yeux comme ça.
« Tu te demandes comment je le sais ? à peu près n’importe quel fantôme peut sentir que tu es différent des autres, c’est pour ça que je suis venu te voir. »
« …Comment ça ? »
« Tu vois… Quand je suis mort, j’ai laissé quelqu’un qui m’est cher à mes yeux, qui n’arrive pas à tourner la page, et j’aimerai pouvoir lui parler une dernière fois. »
« Mais… y a d’autres gens qui parlent aux fantômes, pourquoi moi ? »
Le vieil homme resta silencieux un instant, réfléchit, puis regarda Beathan.
« Tu me la rappelle un peu, dans un sens. Et je pense que tu aurais à gagner à lui parler. »
Beathan regarda le vieil homme, hésita pendant un bon moment, et fit oui de la tête. Après tout, il n’avait pas grand-chose à perdre à essayer de l’aider.
Après avoir enduré le retour chez les vivants, il dit à Edwin qu’il sortait faire un tour, puis il se dirigea grâce aux indications du vieil homme dans la grande ville de Laurel. Cela dura trente bonnes minutes, mais ils finirent par arriver devant la porte de la personne recherchée. Un petit appartement dans la vieille ville, il ne semblait pas avoir bougé depuis des années.
Lorsqu’il arriva devant la porte, il frappa quelques timides coups, avant qu’une jeune femme vint lui ouvrir, elle n’avait pas l’air colmmode, mais surtout, elle semblait exulter d’une sorte d’aura qui semblait extrêmement familière à Beathan sans qu’il puisse savoir pourquoi.
« Euh… bonjour madame « le moineau »… ça va vous sembler bizarre mais… il y a un monsieur qui dit s’appeler Ed qui m’a demandé de vous parler… »