Mes yeux. Je ne pensais pas que ma vie serait aussi différente en les récupérant. Je pense que la première chose qui m’a marqué, c’est la quantité astronomique de couleurs qui existent. A mon époque, le monde était gris, beige, marron, bleu et vert. Ni plus, ni moins. Et là, chaque jour, je découvre une myriade de nouvelles nuances.Je découvre enfin ce a quoi ressemble cet appartement où j’ai pratiquement passé une année entière. Je me suis rendue compte que l’atmosphère de ce lieu était douce, malgré le manque évident de couleurs. En Fait, c’était sobre mais cela collait parfaitement à l’idée que je me faisais des goûts en décoration de ma sœur. Et en parlant de Lyssa, j’ai toujours du mal à me rendre compte d'à quel point elle est belle et élégante. Lorsque j’ai ouvert les yeux pour la première fois depuis de nombreux siècles, et que mon regard s’est posé sur son doux visage, j’ai cru que mon cœur allait exploser. Et depuis ce moment, voilà déjà une semaine, je suis incapable de dormir trop longtemps. Je veux simplement découvrir cet univers si riche en couleur et en nouvelles sensations, et surtout, je veux être avec elle.

Cela fait quelques jours que j’ai commencé à apprendre à lire l’anglais. C’est une discipline plutôt simple finalement si on omets la complexité de la grammaire. De plus j’ai pu me replonger dans une discipline que j’aime temps. La musique. J’ai appris la signification du mot solfège, et de comment cela fonctionne. Edwin m’a expliqué que si je trouvais celà simple, c’est car j’avais probablement l’oreille absolue, et que la musique ne sonnait que comme une langue maternelle. Encore une preuve de la perfection que j’incarne, surtout maintenant que je suis complète.

Aujourd’hui, comme Lyssa était absente, je me suis rendue aux jardins suspendus. J’ai mis une robe que je trouvais belle, ce qui est quelque chose d’assez nouveau pour le notifier. Une jolie robe blanche au dos nu, ouverte sur les côtés. Elle est peut être un peu courte, un peu trop ouverte, mais il fait relativement bon a l'intérieur des jardins, peu importe la période de l’année. J’ai ajouté à cela, une sorte de pantalon très serré, semblable à une paire de collants marrons. Puis ensuite, de jolies chaussures et quelques bijoux dorés. Pour une fois, mes cheveux sont à peut prêt coiffés, du moins, ils ne tombent pas sur le long de mon visage. Bien que j’apprenne à me maquiller, j’ai préféré sortir au naturel.

Sur le chemin, mon visage était presque collé aux vitres des transports, m'imprégnant de la grandiose des bâtiments et de la simplicité des petits détails. Puis, je me suis promenée dans les différentes serres avant de remarquer un piano posé. Lilou m’en avait parlé, les jardins sont un lieu de nature et d’art, et l’art le plus simple a mettre en place est la musique. Il se trouve, comme tout les autres dans une petite serre, à l'acoustique parfaite, et positionné sous un magnifique arbre d’une cinquantaine d’année.

Je me suis assise, sous le regard curieux des quelques personnes autour de moi, et ai commencé à jouer, de manière posée un morceau rapide de Chopin que j’ai tant affectionné durant ma cécité. Je n’ai pas perdu mon mouvement et mes quelques sessions d’entraînement récentes se sont portées exclusivement sur ce morceau. Il s’agit du mouvement du torrent, de la 10 e étude de Chopin et C majeur. Les yeux clos, je laisse petit à petit la symphonie m'enivrer, me coupant de tout ce qui se trouve à extérieure.

Mon armure est lourde, mes pas sont bruyants même pour moi, voir avec est une horreur. Je ne me souviens plus de ce qui m'avait poussé à me rendre aux jardins suspendues. Je le regrettes déjà. Je n'aime pas particulièrement l'humanité, lorsque cette dernière tourne les yeux vers le déluge métallique que provoque le moindre de mes déplacements, je n'ai qu'une envie, les noyer. Les croquer comme je dévorerais une baleine, leur laisser le maigre espoir qu'ils pourront m'échapper avant de les écraser sous un raz-de-marée.

Si ce n'était pas pour mon adorable fille, je serais restée sous l'eau. Je peux y bouger à mon aise, à ma guise et à mon envie. Il n'y a pas plus agréable sensation que d'être libre si ce n'est celle d'être mère. Je devrais être en train d'essayer de faire correctement à manger pour le retour des cours de ma chérie, mais non ! Je suis là en train de crever de chaud dans cette carcasse métallique. Cherchant désespérément un banc, une fontaine ou un endroit frais. Je trouves finalement mon bonheur, une fontaine suffisamment grande pour que je puisses changer l'eau de mon casque.

Je le retires donc avec précaution, le déclic pour l'enlever étant un peu capricieux. Une fois ma tête hors de mon casque, je saisis un élastique et mon cache-oeil. Un magnifique cache-oeil Judas Priest. Je caches mon orbite gauche avec, puis attache mes cheveux roux en queue de cheval. Recharger mon casque prendra un peu de temps, mais ça me donnera une heure de plus, c'est déjà ça, l'eau sera plus fraîche en plus.

Malheureusement, la particularité de mes oreilles fait que je n'ais pas encore d'écouteur adapté, évidemment j'aurais pu mettre un casque, mais je n'ais pas pris mon sac, juste mes clés. La patience n'est pas mon fort, je tapes frénétiquement ma main sur mon genoux en espérant que quelques chose se passe. Evidemment que je l'ai remarqué, qui ne pourrait pas. Elle était dans le parc, près de cette musique trop sage pour moi. Je ne veux pas y aller sans mon casque, je ne sais pas quelle réaction elle aura, je ne veux pas perdre mes affaires ici. Même si honnêtement, elle aura vite fait de mon cas si elle s'envole, il y a un lac ici ? Pas suffisamment grand sans doutes.  

Casque chargé et sous le bras, je m'approches. Sa forme humaine lui va bien, je l'admets. La musique classique est trop gentille pour moi, je préfères écouter des covers de métalleux talentueux que les originaux. Je souris, elle joue bien c'est sûr, dommage que ce ne soit pas de mon goût. Je m'accroupis, à la manière des délinquants japonais ... Ne jugez pas, il m'arrive de lire des mangas de temps en temps, j'y peux rien si ils sont doués pour rendre les gens accro à ça ! ... Je m'égares. Je m'abaisse donc et pousse légèrement la tête de Ziz du doigt, veillant à ne pas lui faire mal.

Je me demandes quel nom elle a choisi. Dans le doute de sa réaction, je me relève et m'écarte un peu, peut-être qu'elle ne me reconnaîtra pas, même si j'ai pu la reconnaître sous forme humaine, moi je n'ai plus la perfection qui nous caractérises. Peut-être ma présence s'en est trouvé changé, peut-être m'a t'elle tout simplement oublié, c'est possible aussi. Mais la grande Léviathan ne se laissera pas défaire par si peu !

- Cela fait bien des siècles qu'on ne s'est pas vu, je crois qu'ils t'appellent Ziz ici si je ne racontes pas de bêtise. Tu arrives à me situer ou tu as besoin d'un petit coup de main ?