Ses pas résonnaient en échos dans le vaste hall. Son souffle, aussi, tant il l’entendait. Comment l’homme qui marchait devant lui pouvait être aussi calme ? Un film, ils avaient dit. Ils tournaient un film. Et lui, on lui avait déjà donné l’argent pour y participer. Cet argent pour laquelle sa femme, sa Katya bien aimée lui avait sauté au cou. Mais il ignorait pourquoi, même si il savait que c’était un film, ce bâtiment aux briques rouges, typique de Brooklyn, lui était oppressant. Déjà deux ans qu’il vivait a Little Odessa et ce n’était pas facile tout les jours de joindre les deux bouts alors il avait signé avec entrain pour ce petit boulot. Il n’osait pas parler avec celui qui le guidait depuis l’entrée dans le bâtiment, de peur que le film ait déjà commencé a son insu.
Il serait dommage de tout faire recommencer.
Ils débouchèrent, lui Vadym, fils de paysan, et l’inconnu, dans une grande salle circulaire, après en avoir poussé les portes. Le décors et les costumes des présents faisait effectivement penser a une reconstitution cinématographique. Il était impressionné par le sérieux et la sévérité des visages, qui désormais le regardaient.
“Approche au centre de la salle”
Ce qu’il fit sans discuter. Sans chercher l’origine de l’injonction. Il avait vraiment reçu beaucoup d’argent pour ça. Il se tenait droit, attendant la suite, tandis qu’une litanie montait autour de lui. Cela sonnait comme une langue qu’il aurait du comprendre, il parlait le russe et l’ukrainien, mais malgré les tons slaves, les mots ne trouvaient pas leur place dans sa tête. Tout s’embrumait autour de lui. Il se sentait nauséeux. Ce fut la, au début des migraines qu’il commença a avoir la conscience que ce n’était pas un film.
Il souffrait, céda un pas, s’agenouilla au sol, le corps douloureusement impossible a contrôler. Quelque chose transperçait son crâne en deux points. Il haleta puis ferma les yeux. Définitivement.
“Bienvenue parmi nous, vénéré Vélès.”
Il se redressait lentement et prenait la mesure du monde, des sensations autour de lui. Ouvrant les yeux, il laissa ce flot de nouvelle images l’envahir. Une dizaine de personne étaient prosternées autour de lui, en cercle. Sans ouvrir les lèvres il posa sur eux un regard plus bleu que ne l’était celui de Vadym, puis il avança un peu prenant la mesure de ces nouvelles jambes, de ce nouveau corps. Il ne se rappelait plus où il était avant cela. Sa seule mémoire était celle de l’ukrainien. Seules de très lointaines informations lui parviennent, sa vie durant l’apogée de la Rus’ de Kiev, sa famille, la genèse de leur existence. Il jaugea ces humain en face et les senti trembler.
“Pourquoi m’avez vous convoqué, mortels ?”
Sa voix elle même était plus profonde que celle du fils de paysan.
“Nous avons besoin de vous comme avant pour protéger nos maisons et notre ouvrage. Nous vous revererons et nous vous ferons des offrandes.”
La divinité cornue acquiesça. Il n’avait pas beaucoup de référence dans ce monde et son habitacle était trop neuf pour savoir quelle maîtrise il avait. Il devait connaître l’actuel monde des humain plus en détail. Il avait besoin de temps.
“Cela me convient. Je désire les offrandes habituelles. Et un siège.”
***
Les rues de Little Odessa étaient froides. Il n’en craignait rien cependant sous son lourd manteau. Les souvenirs de Vadym le tourmentaient au point de faire corps avec lui, l’humanisant. C’est ainsi qu’il avait décidé d’aller voir sa femme et ses enfants. Il savait que l’humain tenait beaucoup a eux. Mais l’humain n’était plus la, il ne restait plus que sa coquille, celle qu’il habitait. Il sonna a la porte. Une semaine que Vadym s’était absenté s’était écoulée. Une voix de femme un peu cassée répondit à l’interphone. Il répondit comme si il était son mari, puis monta. Il la vit sur le pas de la porte, elle, entourée des deux fils Khomenko. Son coeur se serra a son insu.
Elle s’était inquiétée pour lui, énormément. Mais il était de retour. Il était de retour mais différent. Il s’installa dans ce salon comme si c’était le sien, enlaça ses enfants comme si c’était les siens et fit face a cette femme comme si c’était la sienne.
“Je suis désolé, Katya”
Les mots de Vadym traversaient ses lèvres sans controle. Elle congédia les enfants et s’assit avec lui. Il s’assura que sa casquette était bien vissée sur son crâne. Elle savait qu’il y avait quelque chose d’étrange.
“Le travail qu’ils m’ont donné était dangereux. Je suis maintenant embarqué dans de sales affaires. Je dois m’éloigner de vous pour ne pas vous mettre en danger”
Un pieux mensonge mais il ne pouvait pas vivre avec la famille d’un autre.
“Je vous enverrais beaucoup d’argent. Tous les mois.”
Elle était triste. Elle le frappa, puis l'enlaça. Il prit tout sans broncher. Ils parlèrent, encore. Beaucoup. Ils décidèrent de quoi faire pour l’avenir. Puis elle lui fit avouer qu’il avait changé. Elle trouva un moyen de soulever la casquette pour voir les petits cornes. Cela l'effraya.
Il sortit sous la pluie battante.
***
La secte gagnait sa vie par le trafic d’armes. La guerre ça ne lui était pas étranger et il apprit rapidement a reconnaître leur marchandise, son fonctionnement et ce qu’il pourrait être intéressant de se procurer. Cela lui faisait une petite somme a envoyer aux Khomenko chaque mois. Il pouvait exiger ce qu’il désirait au sein de ces gens. Après tout, il était leur idole vivante. Le chef de ces gens s’appellait Vladislav. C’était le seul a vraiment lui parler, les autres étaient trop intimidés pour ne faire autre chose que des sortes de prière improvisées.
Il avait besoin de cette secte. Vladislav l’avait compris et venait demander ce qu’il appelait “les miracles” avec beaucoup d’effronterie. Pour Veles ca demandait plus d’efforts qu’il ne l’aurait cru de détourner les yeux des forces de l’ordre. Le monde était différent. Vladislav avait également perçu ses difficultés, ce qui lui permettait de s’adresser avec effronterie et une pointe d'orgueil. Cela aurait sans doute pu rester tolérable, si il ne s’était pas approché du siège ou le cornu se reposait de ses blessures, vulnérable, pour lui soumettre a mi voix :
“Maitre, ce réceptacle est faible et vous limite en puissance. Voyez a quel état vous êtes réduit. Nous pourrions le supprimer et vous en trouver un plus fort, qui pourrait vous permettre de conserver votre gloire et votre puissance d’antan”
Vélès considèra le maître de la secte. Il ne voulait pas quitter ce corps. Il appréciait être Vadym, il ne voulait pas détruire une autre famille. Il trouva tout a coup Vladislav dangereux pour lui. Il se redressa.
“Tu penses que je suis faible, humain ?”
Branches et racines de quelques plantes disposées dans la pièce en son honneur se déployèrent dans la pièce, vinrent louvoyer comme autant de serpents autour du maître de secte. Celui ci perdait de sa superbe. Il ignorait quelles lignes de feu perçaient le dos de son idole et quelle douleur il retenait entre ses dents. La seule chose qu’il pouvait voir était l’état sauvage primaire que son corps arborait, son système pileux et ses ongles croissant. Il recula et prit congé avec déférence. Lorsqu’il disparut, Veles se laissa retomber sur son siège dans un rictus de douleur, lui même et la salle en friche.
Le lendemain il n’attendit pas pour appeler la police locale dans le but de saborder l’entreprise de Vladislav. Celui ci aurait pu sacrifier ce corps pendant son sommeil, c’était un risque à éviter. Il décrivit aux forces de l’ordre les stocks d’armes qu’ils faisaient venir de Russie et à qui ils revendaient. Il prit soin de mentionner que certain de la secte étaient innocents. Ils seraient ses élus, autorisés à poursuivre les célébrations en son honneur.
***
Le commissaire examinait l’homme qu’on lui avait envoyé au poste. Un visage dur d’Europe de l’est, pas très haut, les mains abîmées et la voix profonde. Il aurait fait un bon méchant de film sur la guerre froide, mais le commissaire Everett ne s’arrêtait jamais à ça.
“Vous savez il sera difficile de vous blanchir si vous avez prit part au trafic d’armes, monsieur ?
-Veles, dieu des récoltes, des troupeaux, des marchands, de la forêt, des mondes souterrains, de la lune, de la magie, de la musique, de la médecine et de la ruse.”
Everett se retint de rouler des yeux. Il fallait qu’il s’entretienne avec le frappé du coin. Il espérait que sa folie n’allait pas jusqu’au dangereux. L’un des policiers présent dans la salle rit aux éclats derrière en glissant ostensiblement à son voisin “et pourquoi pas Odin tant qu’on y est ?”. Everett eu a peine le temps de le foudroyer du regard qu’il sentit quelque chose toucher sa main qu’il retira vivement. Du blé était en train de croître sur son bureau. Des gerbes vertes, poussent à vue d’oeil qui se stabilisèrent juste sous son menton. Il soupira et regarda son hôte qui avait par il ne savait quel tour provoqué cette pousse insensée.
“Écoutez, je ne peux pas noter ça sur le dossier. Donner moi vos papiers d’identité”
Le slave lui jeta un passeport ukrainien, écrit en cyrillique. Le commissaire fit tout son possible pour garder contenance.
“Vous n’avez pas de papiers américains ? Une carte verte, ou peu importe”
Il les eut et il put noter sur le dossier “Vadym Illitch Khomenko”. Puis il releva la tête.
“Alors monsieur Khomenko, qu’espérez vous obtenir de moi ?
-Vous me blanchissez moi et ceux que j’ai annoncé comme innocents et je travaille pour vous. Je connais très bien les armes, les clients et ce petit tour que vous avez vu n’est qu’un entre aperçu de mes capacités.”
La discussion dura jusqu'à un accord entre les parties. La secte fut débarrassée de ceux qui déplaisaient à Veles, qui finirent incarcérés et continua avec les autres qui avaient été “élus”.
***
Vadym officia quelques mois à Brooklyn au sein de la police. Son salaire servait à la secte qui n’avait plus de revenus. Puis il fut transféré à Laurel. Sa nouvelle implantation permit de s’investir pour aider les familles de la secte a ouvrir un commerce légal. On l’embaucha au début pour démanteler un réseau mafieux. Sa science des armes, en partie obtenue des compétences techniques de son réceptacle qui avait servi dans l’armée ukrainienne et travaillé comme mécanicien et en partie par la secte, fut recherchée.
Ses incursion sur le terrain étaient occasionnelles mais remarquées. On l’envoyait pour détruire les stocks d’armement ennemis. C’est en manque de professeur dans le domaine que la Hero Sup lui envoya une offre d’emploi pour devenir professeur dans le domaine dans lequel il s’illustrait.
Il lui semblait qu’il se laissait de plus en plus a être humain. Ce qui le laissait parfois avec l'étrange pensée que quelqu’un devait diriger sa vie d’en haut.
***
Septembre 2013 - Hero Sup.
Tout le monde sentait encore les vacances. On chahutait dans les couloirs, pas vraiment en file, plus en troupeau informe. L’heure du cours approchait, puis vint et tout le monde ou presque se demandait quelle serait la tête du type qui ouvrirait la porte. Ils le virent ouvrir et se tenir dans l’encadrure de la porte, droit comme un cosaque, point a partir duquel il commença à avancer à pas lents et réguliers vers son bureau, les bras croisés dans le dos. La tenue du prolétaire modèle de l’URSS, avec la casquette et le long manteau, et la kalachnikov posée en travers du bureau ne juraient pas avec les affiches des différentes armes qui placardaient les murs, et cette atmosphère un peu lourde qui naissait sous le regard du professeur. On discutait comme de raison jusqu'à croiser la mine sévère de celui ci qui ne pipa mot jusqu'à ce que le silence s’installe de lui même.
“Bonjour, je suis le professeur Vadym Khomenko. Je vous autoriserais à m'appeler Veles. Je serais votre professeur concernant l’armement pour cette année à venir, et je l'espère, encore de nombreuses autres par la suite.”
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Лиш боротись — значить жить!
Il accueillait toujours ceux qu’ils ne connaissait pas par un regard droit et une expression dure, sourcils froncés. Ses premières paroles avaient le même ton et visaient à imposer un ascendant. On voyait rapidement qu’il était quelqu’un ayant l’habitude d'être obéi et de préférence rapidement. Mais une fois passé ce premier abord très rugueux, il s’ouvrait, pouvant aller jusqu'à devenir quelqu’un ayant le rire large et facile. Ses connaissances le trouvaient de bonne conversation et rassurant, il faisait honorablement une bonne épaule sur laquelle s’appuyer au besoin.
Le lien se faisait le plus rapidement avec les moins aisés, ceux issus du peuple ou des classes ouvrières et paysannes. Puis, pour élargir tout ceux ayant un lien solide avec la terre et la nature. Il était authentique et à la recherche de l’authentique encore souvent un peu perdu dans les technologies de pointe. Il aimait sa nourriture faite maison, la musique avec “de vrais instruments” et privilégiait toujours le fait main au manufacturé.
Au sujet de la musique, il se sentait dans son domaine, apprenait rapidement un morceau, pouvait impressionner au chant. Sans avoir l’oreille absolu il sentait assez bien ce qui était harmonieux ou non et y trouvait une certaine délectation. Hors cela il aimait marchander, négocier les prix et considérer la qualité des produits avant de les acheter. Parler avec les commerçant également.
Si il était brillant escamoteur et habile menteur il ne volait pas et se contentait de faire des tours avec des cartes ou de disparaître dans les situations devenant troubles. Il n’était pas aussi loyal qu’il en donnait l’air, préférant bien assez sauver sa mortelle peau. Il pouvait causer le trouble et fuir le trouble. Et était bien plus apte a poignarder dans le dos qu'à faire des faces a faces loyaux.
Il préférait la nuit au jour, période ou il se sentait plus fort et jouait les noctambules, sans pousser l’amusement plus loin que la promenade sous la lune. Son romantisme ne se faisait pas spécialement développé hors cela car il le dédiait uniquement à Devana si jamais elle se décidait à revenir parmi eux.