"Putain ce que je peux m'ennuyer..."

Elle est assise sur un parcmètre. Attendant inlassablement que quelque chose pouvant changer sa journée se passe. Quel jour sommes-nous déjà ? Elle s'en fiche pas mal. La notion de temps est assez diluée lorsque l'on est que moyennement concernée par cette dernière.

Le printemps commençait à remplacer l'hiver, elle le voyait bien de par les pousses des arbres se faisant voir au grand jour, les oiseau chanter le retour de la vie, la bonne humeur revenant doucement en ville.

Mais regarder les plantes pousser s'avérait être d'un ennui particulièrement mortel. Les gens n'ont aussi aucun intérêt pour elle. Elle vient tout juste de suivre une jeune femme raconter à ce qui semble être sa meilleure amie comment elle a quitté son mec comme une grande. Elle avait l'air fière d'elle, comme si elle lui disait "regarde, je peux le faire seule". Pourtant, Saoirse regarde les gens depuis assez longtemps pour savoir que non, le simple fait qu'elle en parlait avant tant de véhémence montrait clairement à quel point elle n'en avait pas rien à faire.

Elle l'appellera ce soir pour coucher avec.

Elle soupire. Se relève, toujours sur postée sur le parcmètre et s'étire. Encore un des avantages d'être une sorte de fantôme astral. L'équilibre ? Quel équilibre ? Le poids ? Quel poids ? Tout cela n'a plus de sens à présent. Si elle peut l'imaginer, alors elle peut le faire, tant qu'elle a l'énergie pour, bien sûr. Assez ironiquement faire cela lui en prend moins que de flotter telle une mauvaise apparition digne de Poltergeist.

C'est alors que le destin, comme si il avait entendu la plainte de la jeune femme sembla se décider à lui offrir un cadeau pour aujourd'hui.

Elle n'y porte pas attention au début. Un homme passe, pas spécialement différent d'un autre. Un look assez simple et discret, une sorte de vieille casquette un peu campagnarde vissée sur la tête. Il avait l'air proche de la cinquantaine. Pas désagréable d'ailleurs, cet air pensif et froid, sa barbe un peu négligée... Il était même un peu séduisant pour quelqu'un de son âge. Il marchait dans la rue d'un air décidé. Elle ne sait pas qui il est et elle s'en fiche pas mal, en revanche il est probablement la seule à peu près intéressante à des kilomètres à la ronde. Elle le fixe encore quelques secondes, étant sous une forme purement invisible pour à peu près tout le monde elle sait qu'il ne peut s'en rendre compte.

Pourtant... Il y a quelque chose dans ses yeux clair, une sagesse ?... Elle ne sait pas comment le décrire mais elle sent qu'il y en a plus, ne serait-ce que légèrement. Mais pourquoi ? Soudainement, il a l'air beaucoup plus vieux que l'âge physique qu'il porte.

Elle l'observe encore un court instant avant de voir un sourire apparaître sur ce visage à l'air pourtant si peu avenant. D'un coup, elle entend le bruit d'un corps sur le sol. Elle tourne la tête, attirée par ce qui vient de briser sa concentration et remarque un homme, étalé au sol. Un simple businessman venant de se vautrer magistralement au sol étant donné l'expression très visible de choc qu'il arbore et sa position des plus ridicules. Elle regarde vers où ses yeux pointent et remarque une petite racine.

Encore un idiot qui ne regarde pas où il va.

Elle hausse les épaules dans le vide puis redirige son attention vers l'homme qui sourit. Il a l'air... Fier ? Pourquoi donc ? Est-ce qu'il s'agit d'un type qu'il ne peut pas supporter ? Elle est intriguée et décide donc de le suivre. Elle saute de son point d'observation et atterrit au sol, gracieuse comme un chat, ou tout du moins c'est ce que quelqu'un dirait si on pouvait l'observer. Il s'en va, les mains dans les poches et un sourire satisfait aux lèvres qui finit par se dissiper alors qu'il sifflote un air que Saoirse ne reconnaît absolument pas.

Elle s'approche, comme une jeune fille observant une célébrité sous le couvert de son anonymat. Sa curiosité est vraiment piquée, qui est-il ? Que fait-il ? Où va-t-il ? Pourquoi est-il si satisfait de voir un type complètement inconnu à priori se manger une simple racine ?

Elle vient de prendre un peu d'avance sur lui quand elle le voit agir à proprement parler pour la première fois.

Il regarde la foule, un air assez indescriptible au visage. Il a l'air de ne pas aimer cela mais elle ne sait pas pourquoi. Il agite les doigts une fois de plus et d'un coup une nuée de corbeaux volent beaucoup trop près de tout ces gens qui s'en vont en pressant le pas, apeurés par toute cette agitation de mauvais augure qui semble avoir l'air déterminée à attaquer tout le monde comme dans un film d'horreur assez douteux mais qui n'en fait rien...

Elle hausse un sourcil et comprend maintenant. Un doté, évidemment. Et un qui a décidé d'égayer sa journée à coup de farces. Elle le regarde à nouveau. Non elle ne le connaît pas, pas un criminel ni un héros connu à priori, après il avait l'air du genre plutôt discret, c'est peut être pour ça. Elle se dit qu'il doit très certainement être dans une situation similaire à la sienne.

C'est alors qu'un sourire mesquin se dessine sur le visage de Saoirse qui semble avoir une idée merveilleuse. Et si elle lui rendait un coup de bâton elle aussi ? Ne serait-ce pas merveilleux ? Enfin quelque chose d'intéressant aujourd'hui !

Elle se décide alors à complètement le suivre, mais, cette fois-ci en riant elle aussi un peu à ses dépends. En temps normal elle n'aurait que faire de ce genre de situation mais... Il y a quelque chose chez cet homme qui l'attire. Une similarité ? Non, probablement pas. Néanmoins il dégage quelque chose, quelque chose qu'elle ne peut s'empêcher de suivre.

Alors elle met son plan à exécution.

Elle se décida à apparaître à des moments précis, choisissant toujours l'instant où personne ne pouvait les observer, elle arriva dans son champ de vision, se matérialisant une première fois au coin d'une rue, habillée de sa tenue étrange et marchant, face à lui comme si de rien n'était et qu'elle vaquait, elle aussi à ses occupations journalières.

Lorsqu'elle disparaît, tournant vers une autre rue, ce n'est que pour réapparaître de nouveau, quelques minutes plus tard, sur le trottoir d'en face alors qu'il cherche à traverser le passage piéton, et ce, pour mieux s'évanouir, nulle part à l'horizon, au milieu de la foule.

Elle continue ce petit jeux pendant un bon moment. Elle essaye de le rendre fou, petit à petit, apparaissant un coup, à l'extrémité de son champ de vision, parfois pratiquement en face de lui, d'autres moments au loin mais dans un endroit parfaitement visible pour lui. Elle s'amuse, ô Dieu ce qu'elle rit intérieurement mais elle n'en montre rien. Bien au contraire, elle est parfaitement impassible à chaque fois qu'il peut la remarquer.

Ce n'est que lorsque qu'il arrive dans une ruelle vide de monde que cette fois-ci elle se trouve derrière lui, il est assit sur un banc, parfait. Invisible cette fois ci et qu'elle pose d'abord une main contre son cou, n'y mettant assez d'énergie que pour qu'il ne ressente qu'un contact froid et lui murmure à l'oreille d'une voix terriblement douce et langoureuse;

"Ce n'est pas bien de ce moquer des gens de la sorte..."

Son rire cristallin s'élève autour d'eux. Enfin, décidée à s'amuser un, elle prend forme, quelques mètres plus loin, en face de lui cette fois-ci, les bras derrière elle, ses propres doigts lacés entre eux. Elle est positionnée de trois-quart, un sourire malicieux aux lèvres et une jambe posée sur la pointe du pied en arrière.

Comment dit-on déjà ? Ah oui ! L'arroseur arrosé.

Elle glousse doucement.

Il y a quelque chose de jouissif à voir un homme relativement imposant sursauter et jurer dans une langue étrangère en retour. Etait-ce du russe ? Polonais peut être ? Elle ne sait pas, la seule chose qu'elle remarqua c'est que les sonorités semblaient définitivement de l'Est et c'est à peu près tout.

Elle regarde autour d'elle, un chat ?

L'animal la toise, tourne autour d'elle, feule, le tout dans une position de chasse, encore une influence du pouvoir de l'homme en face d'elle ? Il avait donc le contrôle sur la nature et les animaux ? Et bien, voilà quelque chose de relativement "craqué" comme disent les gamins devant un jeu vidéo.

Saoirse est moins sûre d'elle même. Mais elle reste une bonne actrice, après tout elle même n'est ici que pour rigoler un peu, rien de bien méchant. Lui en revanche... Il lui semble tout d'un coup être un bien mauvais joueur.

" Hm... C'est vrai, vous n'avez pas de leçon à recevoir de moi. Mais c'est amusant non ? Se faire prendre à son propre jeu. "

Elle force son intonation sur le vouvoiement, elle n'est pas son amie et encore moins en position de faiblesse, il est là pour lui rappeler cela. Elle n'a pas vraiment peur. Elle a vu pire. Ca, et le fait que dans cette forme, il ne pourrait jamais vraiment la tuer, la douleur en revanche elle, sera bien réelle. C'est ennuyant, pourquoi est-ce qu'elle ne peut pas couper cela ?

Son jugement ? Quel prétentieux, et quoi encore ? Qu'elle se baisse à genoux et lui voue un culte aussi ? Pour qui se prend-t-il en plus ? Ce n'est pas comme si il était un dieu ou quoi que ce soit. Elle croise les bras sous sa poitrine, un sourcil haussé bien haut. Elle n'a pas l'air très impressionnée. Peut être qu'elle le devrait, mais voilà maintenant un certain moment qu'elle se fiche plutôt pas mal de ce qui peut lui arriver, tant que cela lui fait se sentir vivante... Tout est bon.

" Oh pardon ô grand et miséricordieux esprit divin, dussais-je user d'une verve plus exquise et de moults révérences afin de satisfaire et fuir le courroux de votre tout puissant règne ? "

Saoirse prend les pans de son étrange robe et les soulève délicatement exécutant une parfaite révérence, le tout sur un ton particulièrement sarcastique. Elle se moque, de toute évidence. Elle n'aime pas les gens qui se prennent beaucoup trop au sérieux. Et soit lui même jouait une sorte de comédie dont elle ne voyait pas l'intérêt immédiat, soit il se prenait sincèrement pour un dieu, et là, les problèmes ne faisaient que commencer.

Elle pointe le chat.

" Et vous voulez qu'il me fasse quoi au juste ? Me lacère vicieusement le visage ? C'est pas Fenrir vous savez. Et il faut être bon joueur dans la vie non ? "

La jeune femme le toise, elle aussi peut jouer à l'être supérieur après tout. Enfin, elle soupire et se penche légèrement en avant, gardant néanmoins un oeil sur le félin lui tournant autour avant de regarder de nouveau son interlocuteur.

" Je suis sûre que vous faites ça à toutes les filles. L'acte de l'homme mystérieux et ténébreux comme ça. Ca vous va bien c'est vrai mais vous avez de beaux yeux, c'est dommage de les cacher derrière cette mine rabougrie. "

Elle sourit doucement, qu'essaye-t-elle de faire, elle même ne le sait pas trop. Elle veut tout du moins tester un peu ses réactions. Comprendre ce qu'il anime, pourquoi il est de la sorte. Il a l'air d'avoir un certain contrôle sur ce pouvoir. Qui sait, cela pourrait être intéressant.

Le chat la regarde.

Le félin a l'air perdu l'espace d'une seconde. Puis, comme par magie il s'enfuit rapidement sans regarder derrière lui. Saoirse le regarde s'en aller. Un pouvoir de contrôle en effet... Mais elle l'a vu manipuler la nature aussi. Est-ce que cela considère le monde naturel avec un grand N ou bien tout ce qui est vivant ? Difficile à dire. Elle ne sait pas et se doute bien qu'il ne le dévoilera pas. Ce serait un bien trop grand désavantage par rapport à elle, n'est-ce pas ? En tout cas elle compte bien ne rien dire vis à vis de son propre don, peu importe qui elle a en face d'elle. Moins de gens en sauraient, mieux elle s'en portera, le simple fait de s'amuser un peu avec cet homme était une mauvaise idée et elle le savait.

Oui, la seule solution pour elle est de développer son pouvoir en paix, jusqu'à qu'elle puisse en finir elle même avec sa propre existence.

Néanmoins, malgré ses pensées, elle continue de l'écouter, ce n'est pas très poli, certes, de ne pas regarder quelqu'un qui parle mais il ne lui donna pas l'impression d'être le genre d'homme à y porter une vraie attention à partir du moment où elle entend ce qu'il veut lui di-

" Pardon ? "

Elle tourne la tête abruptement, fichant ses yeux dans les siens. Est-ce qu'il vient vraiment de sous-entendre qu'il est un dieu ?

La forme de la jeune femme perd consistance l'espace d'un instant. Des vibrations parcourent son corps comme une chaîne de télévision privée pour laquelle on n'aurait pas payé l'abonnement, sa voix, sérieuse, est déformée elle aussi alors que le choc de la chose lui a fait perdre contrôle un millième de seconde. Ses sourcils sont froncés. Sa mâchoire fermée, ses poings serrés.

Soit il se moque d'elle. Soit il est véritablement ce qu'il dit être. Quoi qu'il arrive la chose lui est insupportable.

" Vous vous moquez de moi j'espère ? Plus ancien que tout ? Soit vous vous payez ma tête et c'est très réussi, soit vous êtes vraiment un foutu dieu et dans ce cas... "

Elle serre les poings un peu plus fort.

" Comment osez-vous vous montrer dans ce monde ? "

Sa voix cache à peine une hostilité nouvelle. L'aspect jusqu'à présent joueur de la jeune femme a disparu. Au contraire, des émotions violentes et conflictuelles font rage en elle. De la haine, de l'incompréhension, une forme d'incrédulité. Quelque chose en elle le sait, il dit la vérité. Pourtant elle ne veut pas l'accepter, non, elle ne peut comprendre ce qu'un dieu ficherait ici, et encore plus à ne rien faire.

" Si vous êtes une foutue divinité que faites vous à renverser des mecs complètement random dans la rue plutôt que d'aider les gens hein ?! Si vous êtes vraiment un mec avec la puissance de faire et défaire pourquoi vous n'aidez pas les humains à s'élever plutôt que de regarder tout le monde souffrir ? Parce que vos putains de potes grecs étaient plus occupés à forniquer et à tuer tout le monde plutôt qu'à actuellement sortir ce monde de merde de la misère ?! Vous n'êtes vraiment qu'une sacrée bande de branl-... "

Elle s'arrête, plante ses ongles dans son bras comme pour se retenir de quelque chose. A présent elle se rend compte, à quel point sa colère change son image. Alors qu'elle vient d'hurler ses sentiments à un parfait inconnu, son corps a changé, l'image que son subconscient a projeté est devenue instable, sa voix n'a pas arrêtée de changer pendant sa tirade, tantôt haute, parfois à la limite du démoniaque, des éclats de lumière tournaient autour d'elle, comme un avertissement lumineux, ses vêtements semblèrent avoir brûlé à endroit, subitement, alors qu'à d'autre ils avaient prit une forme indescriptible, rougeoyant de la même colère.

Elle soupire alors, inspire lentement et reprend le contrôle. Elle époussète de la main sa robe qui reprend forme, comme si de rien n'était.

" Ce n'était pas un comportement acceptable venant d'une vraie dame. Mais comprenez, notre petit jeu est amusant, mais si vous êtes vraiment ce que vous prétendez être... Alors pourquoi ? "

Ce dernier mot, il ressemble presque à une plainte. Elle le regarde, pleine d'incompréhension. Oui, pourquoi ? Pourquoi des êtres à priori capables de réécrire la réalité d'un claquement de doigt sont incapables de faire quoi que ce soit pour le bien des autres ?

" Pourquoi est-ce Andrasté n'est venue à l'aide de Boudica quand elle en a eu besoin ? Pourquoi est-ce qu'Athéna et Aphrodite ont utilisé deux villes comme un terrain de jeu sanglant ? Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez vous ? "

Elle agite la tête inconsciemment à cause de sa propre incompréhension. Elle qui se retrouve maintenant enfin face à une divinité, elle qui a tant prié qu'on la réveille.

" Je me doute bien que tout ne s'est pas passé comme dans les légendes, comme dans les histoires mais... J'aurai espéré, au fond, que toute cette puissance aurait pu être utilisée pour faire quelque chose de moins égoïste ? "

Pourquoi est-ce que tout a le goût de cendres ?