Chapitre I
La première bouffée d’air frais, le premier souffle, la première fois que j’ouvre les yeux et déjà je suis consumé par la haine… Je n’ai qu’une pensée, qu’une envie, qu’un désir : détruire toutes les formes de vie prés de moi. Cependant certains échappent à mon courroux… d’autres comme moi… mes frères et sœurs. Ensemble nous nous élançons afin de répandre la mort comme nos instincts nous le hurlent.
Puis soudainement le noir, le froid, la solitude. Autour de moi rien ne se dresse mis à part du vide, aucune lumière n’éclaire le paysage, mon feu ne rayonne même plus. Où est donc passé le soleil ? Où sont donc passés les pécheurs ? Et surtout ou sont donc mes frères ? Enragé, je m’acharne, tentant inlassablement de percer la prison dans laquelle on m’a enfermée sans succès.
Le temps passe mais je ne le sais pas, la colère n’est que plus intense mais une certitude s’y est greffée : c’est mon père qui m’a enfermé dans ce monde froid ! C’est lui qui nous a tous enfermé, car oui nous sommes tous enfermés loin de notre raison d’être, je le sens. Je sens mes frères et mes sœurs s’acharner comme moi sur la porte invisible de ce cachot et maudire nos pères !
Le temps passe mais je ne le remarque pas, chaque heure, chaque seconde qui passe je me déchaîne afin de tenter d’ouvrir une brèche dans la barrière qui me sépare de ma tache. Et un jour que rien ne distinguait des autres une fissure s’ouvrit, furtive, trop petite pour que je puisse m’y glisser entièrement mais trop rare pour que je laisse passer ma chance.
Je force le passage, tente de passer du mieux que je le peux par cette infime ouverture et lorsqu’elle se referme le premier sentiment qui me gagne est la déception. Le second la colère. Et le dernier la stupéfaction. Je ne suis plus entier, ma colère refuse de s’incarner comme auparavant mais surtout le monde autour de moi n’est plus froid. La lumière est revenue ! La vie autour de moi aussi ! Je peux donc retourner à l’accomplissement de ma tâche.
Malheureusement je ne suis pas complet, je ne peux pas me déchaîner et surtout, je suis seul.
Hurlant au ciel et à ces pères qui nous avaient affligés d’un destin de détention je jure à tous mes frères et à toutes mes sœurs de trouver un moyen d’ouvrir les portes de leur liberté.
Chapitre II
Ma colère se déverse sur les terres aux alentours et même si je ne peux pas ravager le paysage au moins je peux tuer chaque être vivant que je croise. Ils doivent tous payer, les mortels autant que les dieux. Les uns car telle est ma mission, les autres à cause de leur lâcheté. Traversant les terres sans m’arrêter je ne remarque même pas que la part de mon être à avoir traversé la fissure était faite uniquement de pouvoir. J’étais réduit à une émanation informe de destruction et je ne le remarquais même pas.
Je redécouvre en même temps que mon massacre la lumière brûlante du soleil et la douce caresse de la lune. Je redécouvre à quoi ressemble le monde auquel j’ai un jour appartenu tout en le tachant du sang des mortels. Je remarque cependant qu’il m’arrive d’occire plus souvent une même sorte d’être vivant que tous les autres. D’étranges animaux que je n’avais jamais vu auparavant qui tienne sur leur deux pattes arrière et grâce à leur deux pattes avant maniait des outils pour tenter de vainement se défendre.
Je ne sais pas combien de temps cette mascarade a duré, moi traversant ce paysage sans aucun autre but que la destruction pure. Certes cela correspondait à ma nature primaire mais j’avais oublié la promesse faite à mes frères et sœurs.
Il me faut plusieurs lunes avant de reprendre mes esprits, je remarque enfin mon absence de présence physique et m’enrage d’autant plus. Cependant ma colère se calme rapidement, si je suis capable de tuer sans forme physique, par la simple présence d’un héraut de la destruction, alors peut-être puis-je concentrer mon essence en un corps ?
Ainsi, je pars à la recherche d’un corps dans lequel déposer mon pouvoir et ma conscience. J’arrive rapidement à une petite bâtisse avec plusieurs de ces êtres bipèdes et me mets en mouvement. La première tentative est un échec, alors que je force l’entrée dans le corps celui-ci s’écroule et se décompose avant même de toucher le sol. Celui qui vient de mourir est un mâle d’après ce que j’ai compris.
L’enfant subit le même sort que sont père même s'il au moment fatidique il pousse bien plus de cris que son ainée. Je commence à perdre espoir et je pense déjà aux prochains être lorsque je rattrape la femelle en train de fuir et d’abandonner les restes de son enfant et de son mâle. Malgré tous ses cris plus fort encore que ceux de son fils son corps ne me rejette pas et ne tombe pas en morceau sur le sol.
J’écrase sa conscience, assimile sa mémoire et prends sa place dans son enveloppe charnelle alors que celle-ci se modifie sous l’influence de ma présence. Je suis contraint de rester immobile pendant plusieurs heures avant de pouvoir bouger de nouveau mais le gain est au-delà de mes espérances. Sous la lumière argentée de la lune je pouvais profiter de
mon nouveau moi.
Chapitre III
Le corps avait été purifié par ma présence et à présent je peux en jouir sans limite, j’avais aussi par la même occasion avalé sa conscience et ses souvenirs. Je pense brièvement aux avantages d’être une créature créée par un père aussi puissant que le sien mais cette simple pensée ne fait que raviver ma colère à l’encontre de nos pères. Mais je fais mon possible pour me calmer et faire le point sur ma nouvelle acquisition.
Pendant que je teste chaque muscle de ce corps je passe en revue ce que j’ai appris à propos de cette époque. Les « humains » vivent à travers le monde entier, la femelle a qui appartiens ce corps se nommait Lyssa Cyrene, originaire de Carthage une des plus grandes cités du monde. Tant d’informations inutiles, enfin c’est ce que je pense pendant quelques secondes avant de me rendre compte que je ne connais ni mon lieu de naissance.
Ce sujet de réflexion s’échappe rapidement de mes pensées au moment ou l’idée de pouvoir enfin mener à bien ma mission s’illumine. La première idée que me vient à l’esprit est que si je suis sortie dans les alentours de cette région c’est que la porte de la cage devait se trouver dans les parages. Je me surprends à avoir pour la première fois une pensée structurée qui n’est pas aveuglée par la colère et je me rends à l’évidence : je ne suis bel et bien plus entière.
J’avais réussi à faire évader une part de mon être, je m’étais libérée d’une grande partie de ma soif de destruction ce qui avait éclairé mon esprit mais j’avais laissé une grande partie de ma puissance derrière moi. Une si grande proportion que je ne pense pas qu’il me soit possible de réussir l’exploit de briser la cage une seconde fois. Je me dois cependant d’essayer peut importe le prix que cela me coûtera.
Je me lance donc dans ce corps d’humain à la recherche de trace pouvant m’indiquer l’entré de la cage. Pendant maintes années, je choisis d’arpenter la région à la recherche de ces traces.Ces décennies de recherches et d’apprentissage se sont finalement soldées par un échec cuisant. Je dois aussi admettre utiliser ces petites séances de « chasse » afin d’apprendre à mieux connaitre ce nouveau corps.
Je découvre la faim, le sommeil, et tant d’autres sentiments et besoins que ressentent les mortels et qui les empêchent de poursuivre le but qui les anime. Mais plus que tout je découvre le plaisir, si avant ma captivité tuer et détruire était un besoin naturel, maintenant que j’habite ce corps humain dont je ne peux me défaire la vision du sang, plonger mes mains dans leur thorax pour arracher leur cœur encore battant me procure une sensation qui m’était inconnue. L’envie de plonger entièrement dans l’hédonisme me tend les bras mais la loyauté qui me lie à mes frères et sœurs est plus grande.
Ces décennies de recherches et d’apprentissage se sont finalement soldées par un échec cuisant. Il n’y avait aucune trace de la cage, aucune trace du passage de nos pères, rien pour m’aider à libérer les miens. Alors que j’abandonne l’espoir de trouver une solution de cette manière une odeur de sang attire mon attention. Je gravis une colline qui me sépare de l’origine de cette délicieuse puanteur avant de voir un magnifique spectacle.
149 années avant notre ère : prise de Carthage par l’empire romain.
Chapitre IV
La ville de Carthage, si resplendissante dans la mémoire de Lyssa, ne paye plus de mine avec ses murs d’enceinte effondrés, ses maisons en flamme et marée de cadavre qui s’étend devant ses portes. Les humains sont si fascinants ! Alors qu’on leur a donné de quoi créer, vivre et prospérer ils choisissent de s’entre-déchirer. Si telle est la finalité de ce monde pourquoi donc nos pères nous ont enfermés ? Ma colère refait surface mais je la tais échafaudant une nouvelle entreprise.
Puisque je ne peux ouvrir la cage pour le moment me lier aux humains me semble être une alternative pleine de possibilité. Peut-être me suis-je trompée ? Peut-être que l’entrée de la cage se trouve autre part et que c’est grâce à la force que j’avais employée afin de sortir que je m’étais retrouvée dans cette région ? Cette hypothèse me semble possible tant et si bien qu’au moment où je descends de la colline en direction de la ville pillée, la mémoire de Lysa se déverse en moi. Il est l’heure d’apprendre.
Mes débuts aux milieux des êtres humains sont difficiles, certes il n’y a plus grand monde dans cette ville dominée par l’envahisseur mais la présence d’autant de vie me dérange. Il m’arrive, pendant ces années de vie à Carthage, de perdre le contrôle de nombreuses fois.
J’apprends au fur et à mesure à repérer les endroits sombres peu fréquentés la nuit où disparaisse de plus en plus régulièrement un habitant ou deux. Le jour ma vie est tout autre, je découvre la vie en « société », le travail et ce qu’est l’argent. Je nage au milieu de l’incompréhension et plusieurs années me sont nécessaires pour comprendre le système. Comme un sceau venant s’apposer sur ma personne, la première pièce d’or obtenue après un labeur laborieux vient prouver ma capacité d’adaptation.
Cependant même si je comprends l’organisation de la vie humaine, la nature humaine m’est incompréhensible. Je fais pourtant de mon mieux pour m’intégrer mais rien ne m’aide. Les années passent, le temps glisse sur mon corps me forçant à changer de lieu de résidence régulièrement pour ne pas provoquer d’émeute sanglante et compromettre le travail fait jusque-là. En voyageant je discute, j’écoute les rumeurs ou soutire des informations mais aucune d’entre elles ne s’avère utile. C’est comme si les humains n’avaient aucune conscience de leur importance minime en ce monde.
Plus choquant encore, ceux que je considère comme des lâches, des traitres, des pères effrayés par leurs enfants sont révérés par les mortels ! Ce sont des puissances supérieures veillant sur chacun d’entre nous sur ce monde, des « dieux ». La première fois que j’ai compris que je pénétrais dans lieu de culte dévoué à un de ces dieux mon sang n’a fait qu’une tour. Je devais me concentrer, ne pas céder à la colère qui remonté mon être comme la lave le long de la gorge d’un volcan. Ma résistance était futile. Dans un élan de haine pure j’ai ravagé cette « maison de dieu », tué les mortels priants pour un salut qu’ils ne méritent pas, détruit les représentations glorieuses de ces couards. Ce fut
la plus belle nuit que j’avais pu vivre depuis mon arrivée en ce monde.
Chapitre V
Cette fois-ci, ce ne sont plus les décennies qui passent mais les siècles. Afin de canaliser ma colère d’une manière plus constructive je me suis lancé dans une entreprise qui se révèle être plus agréable chaque jour : la lecture. Pour la première fois je peux enfin comprendre ce qui se passe à l’intérieur de l’esprit des mortels que je dois côtoyer tous les jours. Je vis ma vie de manière aisée, la notion « d’investissement sur le long terme » m’ayant ravi dés la première seconde, plongée dans des livres la plupart du temps.
Chaque jour j’apprends un nouveau mot, une nouvelle notion scientifique, une nouvelle figure de style, une nouvelle caractéristique d’un culte quelconque. Je ne comprends pas pourquoi je ne me suis pas lancé dans cette activité plus tôt ? Mon comportement est devenue plus « conforme » à mon entourage et à la société qui m’entoure. La lecture m’apprend aussi l’art délicat de la manipulation et de la dissimulation. Moi, qui suis à l’origine une créature vouée à la destruction, est chaque jour un peu plus séduite par les jeux d’esprit et les conspirations.
N’allez cependant pas croire que j’oublie mon but premier en me perdant dans des loisirs, certes je n’utilise plus aussi souvent qu’auparavant mes pouvoirs tant et si bien qu’ils commencent à devenir quelque peu rouillés, mais je continue de poursuivre ma quête. J’ai découvert il y a peu de temps l’existence de mortels touchés par « la grâce divine », en réalité dire que j’ai arraché de la gorge d’un mortel qui clamait être un demi-dieu l’information quant à la présence de plusieurs être comme lui. Car il ne mentait pas, je suis capable de sentir sans erreur possible la trace des semblables de mon père, même si cela m’est tout sauf agréable.
Désormais mon plus grand espoir est de rencontrer un de ces « élus divins » et d’exploiter son pouvoir afin de forcer la porte de la cage. Il est vrai que je me repose entièrement sur la chance et le pouvoir que j’abhorre tant mais je ne suis pas stupide, je sais pertinemment que je suis incapable de forcer la cage dans ma situation actuelle.
Les années passent et la chance me sourit, sur le continent américain dans une petite ville nommée Laurel, une école regroupant des mortels dotés de capacités extraordinaires en plus d’abriter les plus puissants d’entre eux. Récupérant mes affaires et mes souvenirs d’époques révolues, je m’en vais compléter le rêve américain au sortir des massacres du XXème siècle. Je sais que je regretterai l’Allemagne… Vraiment,
un beau pays.
Chapitre VI
Cela fait plusieurs années que je vis dans cette ville si particulière grâce à ses habitants. Les événements de la Dark Hours ne m’auront laissé comme souvenir qu’une rancœur acerbe contre cette fameuse personne, comment osait-il ainsi interrompre ma patiente attente ? Quoi qu’il en soit je siège aujourd’hui entre les murs qui accueilleront peut-être un jour le sauveur des miens. Je vis au milieu des livres tout en étoffant la bibliothèque particulièrement pauvre de cet établissement pourtant unique.
Pendant ce temps Abaddôn sévit, cachée derrière son masque elle est la porte-parole des béhémoths, la promesse d’un destin qui s’abattra fatalement sur les mortels un jour ou l’autre. Son pas trainant, son allure menaçante, une vraie figure de théâtre. Heureusement,
la patience est une de ses grandes qualités.