L'été touchait à sa fin, les cours n'allaient pas tarder à reprendre et qui dit rentrée dit une montagne de paperasse à gérer supplémentaire dans mon bureau. Dossiers scolaires à mettre à jour, les emplois du temps à vérifier, une réunion du personnel à organiser et des compagnies à contacter, parfis, j'enviais les enfants en cours. Mais les vacances n'étaient pas terminées par tout le monde et on savait tous que l'adjoint du maire partait avec sa famille camper dans la forêt les deux dernières semaines d'Août. Dommage qu'elles ne se finissent pas comme ils le voulaient! La nouvelle a éclaté dans la matinée sur toutes les chaines locales, l'incendie, difficilement contenue, avait viré de bord sans que les pompiers puissent l'en empêcher, prenant plus d'ampleur qu'avant. C'était surprenant quand on ne savait pas que la plupart des arbres de la forêt étaient assez vieux pour flamber comme des allumettes. Mais les médias n'avaient pas assez de drama et ils avaient enfoncé le clou en annonçant que le feu se dirigeait droit vers le campement de la famille vacancière.

La perte de ces civils serait une catastrophe pour Laurel tout comme le Maire, autant politiquement que pour maintes projets sociaux organisés par cet homme, mais il y avait surement autre chose puisqu'à peine le journal terminé, j'avais reçu un appel assez important me demandant d'aller récupérer la famille en danger. Je n'étais pas Joker mais ce n'était pas un secret que je faisais des missions à haut risque depuis pas mal de temps. Sauf qu'entre infiltrer une organisation criminelle et faire la course avec un incendie vorace et imprévisible, c'était tout bonnement différent! Après une courte discussion avec Dempsey, je m'étais permise, avec son accord, de demander l'aide d'un élève ayant des compétences particulières avec le feu, nous étions responsables de ces enfants, nous ne pouvions donc pas les mettre en danger inutilement et contre leur gré. Demander à un Joker aurait surement été utile mais les appeler, attendre une réponse et attendre la personne favorable pour cette mission aurait été trop long. Le temps était contre nous!

Parmi toutes les candidatures, un seul accepta, Jack Falcon. Après un débriefing bref, nous étions partis sans se faire remarquer par les élèves et les professeurs, nous n'avions pas la journée pour récupérer les futures victimes en vie, l'incendie ne cessait de se rapprocher. Afin d'atteindre la forêt en un temps record, j'avais pris ma moto, un gros engin noir néanmoins assez rapide, Jack à l'arrière. Je ne lui avais pas spécialement donné d'instructions à part que le feu ne devait pas nous atteindre mais qu'il ne devait pas s'épuiser inutilement. Nous ne pouvons pas savoir comme est le terrain à partir de seulement deux vidéos des journaux, on allait devoir improviser dés notre arrivée! Le trajet fut rapide puisque je ne faisais pas attention aux feux rouges et aux stop, mais aucune voiture de police vint nous gêner dans notre mission, surement parce qu'ils étaient au courant de l'affaire.

Une fois arrivée, je ne m'étais pas arrêtée, passant du bitume à l'humus de la forêt, les arbres étaient suffisamment écartés les uns des autres pour me laisser passer sans risques. D'un paysage gris bleu nuageux, nous venions d'entrer en Enfer, le ciel rougeoyait et les arbres qui craquaient faisait penser à des tirs en rafale. L'Enfer des champs de bataille. Un torrent de sons agressifs et terrifiants, et le moteur de mon véhicules n'arrangeait rien, mais mes oreilles étaient sourdes à tout cela. Les yeux fixés droit devant moi, j'évitais les obstacles facilement, jusqu'à ce que l'incendie soit sous nos yeux, un peu à gauche, c'était vraiment impressionnant, nous n'étions pas à coté mais nous ressentions sa chaleur étouffante sans problèmes, mon dos était déjà trempé de sueur. La famille se trouvait un peu plus au nord du parc, ce qui voulait dire que nous avions seulement qu'une demie heure à peu près au vu de la vitesse des flammes pour récupérer les civils. La récupération ne serait pas trop compliquée, ma moto pouvait supporter le poids de trois personnes, pour les autres, je pouvais user de mon don pour leur tracer un chemin ignifugé jusqu'à la ville. Enfin, cela aurait pu être aussi simple si notre cible était bien au campement. Mais celui ci était parfaitement désert! Le moteur encore actif, j'étais descendue de la moto pour vérifier s'ils n'étaient pas dans leurs tentes mais non, que dalle. Où pouvaient ils bien être? Bon sang, cela n'allait pas nous aider! Les mains autour de ma bouche, je tentais de me faire entendre, histoire qu'ils reviennent ici s'ils étaient dans le coin.

-Ohé! Il y a quelqu'un?! Nous venons vous sauver!

- Rester calme madame, inutile de sa fatiguer pour rien, avec tout ce vacarme il n'y a que très peu de chance qu'ils nous entendent ! Nous devrions commencer par fouiller la zone, si ils sont parties précipitamment, ils auront forcément laissé des traces derrière eux !

Je le savais, hélas, ne rien faire n'aiderait pas non plus. L'élève volontaire s'approcha des tentes tandis que je réfléchissais, il était inutile de lui dire de faire attention, de nous deux, il était le plus calme et adapté à cet environnement catastrophique. Mon regard balayait l'ensemble du campement tandis que ma main coupait le moteur, les questions, aussi parasites les unes que les autres, se succédaient dans ma tête alors qu'un plan en trois dimensions des lieux se formait dans mon esprit. Je n'étais allée que deux fois dans cette zone et encore, mais les photos du site m'avaient beaucoup aidé pour reconstruire le puzzle gigantesque que j'avais assemblé dans mon crane. A part les arbres, qu'est ce qu'il pouvait y avoir d'autres... Ah, les chasseurs passaient par là pendant la saison de chasse, bien qu'ils soient très surveillés, il arrivait que certains pièges soient abandonnés. L'idée de retrouver un civil coincé par ces choses métalliques me ramena à l'urgence de la situation, mais au moins, ils seraient faciles à récupérer bien que blessés. Cependant, mon contact avait dit de les ramener vivants, donc je suppose qu'un tibia esquinté ne soit pas dramatique.

- mon don me protège de mon propre élément, mais vous, vous pouvez y survivre ?

Je tournais la tête vers lui en me posant à présent la même question. Non, c'était évident que mon cristal ne pouvait supporte pareil fournaise, cependant, je ne comptais pas combattre le feu, le plus important était de retrouver les civils. Je secouais la tête en signe de négation en promenant mon regard sur l'avancée de l'incendie: il allait bien trop vite pour qu'on tergiverse ici trop longtemps!

En courant et en évitant la fumée, je pense que je pourrais m'en sortir. Essaie de voir si ils ne sont pas piégés par les flammes par hasard, quant à moi, je vais voir si ils n'ont tout simplement pas eu la bonne idée de se disperser là où le feu n'a encore rien dévasté!

Sur ces mots, je m'éloignais du camps pour grimper sur un arbre qui semblait assez haut pour que je puisse voir l'ensemble de la zone. Je n'étais pas une bonne grimpeuse mais ma capacité à transformer les matériaux en cristal me fut d'une grande utilité pour parvenir à mes fins. La fumée était épaisse mais elle n'avait pas encore atteint mon point d'observation, je pouvais donc scruter les environs sans trop d'inquiétude. Mais où pouvaient-ils donc être allés en si peu de temps?

- Bien, j'enverrais un feu dans les air à chaque personnes retrouvées, si le feu explose, c'est que la personne est vivante, sinon... Enfin vous voyez quoi ! allez, à plus tard !

Ah, qu'il était rassurant de voir comme nos enfants peuvent grandir et murir aussi rapidement, rassurant et inquiétant. Bien que la plupart étaient adultes à présent. A présent, je n'avais plus aucun doute, j'avais fait le bon choix en prenant Jack Flacon pour cette mission, sérieux et motivés, voilà des qualités qu'on a du mal à trouver dans la jeunesse actuelle malgré toute notre bonne foi...

Mais assez tergiversé, moi-même je devais me lancer à la recherche de cette famille disparue. Sautant de branches en branches, je m'éloignais du campement en suivant des traces au sol d'humus arraché en pleine course. D'en bas, je n'avais pu les remarquer mais maintenant, je repérais aisément les taches brunes, humides encore, dans la terre, ainsi que les feuilles écrasées, en espérant que c'était bien les empreintes des civils et non d'un quelconque animal! Plus le temps passait et plus la fumée se faisait présente, me forçant à descendre. L'incendie ne semblait pas avoir attaqué le campement à cause d'un grand vent qui l'avait plutot dirigé sur mon flanc droit, me pressant dans mes recherches. La chaleur se faisait de plus en plus oppressante, m'obligeant à couvrir ma bouche et mon nez de ma manche, malgré cela, je continuais d'appeler la famille. Mes efforts furent récompensés par des appels à l'aide suivi de deux formes flous qui s'éclaircissaient à mon approche. C'était l'ainé de la famille et l'adjoint du maire. Ce dernier semblait mal au point, une jambe coincée par un arbre qui leur était tombé dessus, le gamin était en train de paniquer au point que je ne parvenais pas à lui faire entendre raison. Après une grande inspiration, je le saisis par les épaules et changea ses manches en cristaux, cela lui coupa le sifflet et enfin, j'eus toute son attention.

-Ecoute, c'est pas en tournant en rond que tu vas sauver ton père ok? Alors aide moi à soulever ce tronc au lieu de pleurer! Plus on perd de temps et plus on risque d'être piégés!?

Mes dernières paroles semblèrent l'avoir ramené à la raison puisqu'il se jeta littéralement sur le tronc pour essayer de le dégager, oubliant sa peau écorchée par l'écorce sous l'effet de l'adrénaline. J'allais pour l'aider quand une explosion me fit relever la tête, impossible de voir ce qui avait exploser mais comme cela venait du ciel, je pouvais croire que c'était Jack qui venait de trouver quelqu'un. Donc on avait trouver le père, le fils et, soit la fille, soit la mère. Il manquait un civil... Dommage que nous n'avions pas emmener de quoi communiquer sans être obligé de se téléphoner, on aurait pu se mettre au courant facilement et ne pas gaspiller du temps inutilement, je ne savais même pas par où était parti l'étudiant...

-M'dame, ATTENTION!

Un effroyable bruit semblable à des os broyés me fit faire volte face pour voir un arbre se briser avec un fracas digne de la fin du monde, mais contrairement aux films, ce genre de scène ne sont pas ralentis dans la réalité et il ne fallait qu'un quart de seconde pour choisir comment contourner l'obstacle. Sans réfléchir, je transformai ce qui m'entourait en cristal en passant par mes pieds, ainsi, chaussures, humus et même le tronc qui coinçait le blessé, devinrent mon élément et formèrent un immense pilier afin de soutenir l'arbre qui risquait de nous écrabouiller. Pas une seconde à perdre, je pris l'adjoint sur mon dos et me mis à marcher vers le campement, suivi de près par l'adolescent qui me regardait comme si je venais de créer le palais des glaces d'Elsa en éternuant. Hélas le temps pressait et la santé de l'Adjoint était en jeu, j'eus donc à nouveau recours à mon don et transformai le sol en face de moi en une surface lisse digne d'une patinoire, sans l'avis du garçon, je forgeai des "patins à glace" sous ses chaussures et mes pieds, déstabilisé, il manqua de se briser le cou en tombant, heureusement que je l'avais attrapé à la manche avant. Sans un mot ni excuse, je me concentrai sur la "route", il ne me fallut pas autant de temps qu'à l'aller pour rejoindre ma moto qui, par chance, n'avait pas été endommagé par l'incendie, mais ce n'était plus qu'une question de minutes pour que cela soit le cas! Tout juste installés sur le véhicule que je fis rugir le moteur avant d'effectuer un demi tour et foutre le camps de cet Enfer.

-Et ma mère! Elle était avec nous!
-J'irais la chercher après vous avoir mis en sécurité!
-Mais elle a pu se faire piéger par le feu!?

Je gardais le silence pour ne pas l'énerver davantage, s'il faisait pencher la moto sur le coté et qu'on tombait, alors on serait nous aussi en mauvaise posture... Mais abandonner des civils n'était pas dans ma nature et si je parvenais à atteindre la sortie et déposer les blessés, il n'était pas certain qu'elle soit encore en vie! Je n'eus pas le choix quand le jeune dans mon dos se mit à s'agiter. Je lui demandai de prendre le guidon, histoire qu'on ne se plante pas dans un tronc et sortis mon baton de combat de ma ceinture, sans plus de cérémonie, je lui donnai la forme d'un arc en cristal armé d'une flèche et tirai celle-ci en l'air. Vu la fournaise en hauteur, elle allait sans aucun doute s'éclater, et comme le cristal avait cette tendance à être bruyante en se cassant, Jack allait probablement l'entendre, il n'y avait plus qu'à espérer qu'il allait comprendre que je voulais qu'il revienne vers moi...

-Continue tout droit et ne t'arrête surtout pas, il y a des pompiers et probablement les urgences, dis leur tout, même les détails les plus farfelus comme l'endroit où est tombé l'arbre sur ton père, plus ils ont de détails et plus vite ils sauront le soigner!
-Hein? Quoi?! Mais... Attendez!

D'un bond, je quittais le véhicule, faisant un magnifique roulé boulé plein d'élégance en atterrissant. Serrant les dents, je me relevais pour reprendre le chemin jusqu'au lieu où j'avais trouvé les hommes, variant mes pas d'une flèche en cristal tirée vers la cime des arbres.

La fournaise devenait de plus en plus insupportable, au point que je commençais à craindre pour mon corps. Est ce qu'il pouvait mourir de l'intérieur suite à une intoxication au carbone? Je n'étais pas protégée contre la chaleur et les flammes non plus malgré ma seconde peau... Une fois arrivée à l'endroit où j'avais trouvé le père et le fils, je parcourais  le paysage d'un regard sceptique. Si la mère était encore là, et surtout, si elle était coincée, elle devait être dans un sale état... Voir pire! Allons pas de panique, peu d'arbres sont tombés dans la zone, et il y avait plus de chances qu'elle soit tombée faute d'oxygène qu'écrasée par un... L'horrible craquement qui suivit ma pensée me fit comprendre que des arbres venaient effectivement de s'effondrer, comme par hasard...

Un crissement de feuilles me fit tourner la tête, le jeune Jack Falcon venait d'arriver, sortant des flammes comme on pouvait sortir d'une douche. Sans me demander mon avis, il se rapprocha de moi, partageant sa capacité à supporter la chaleur avec moi, ce que j'appréciai grandement, réfléchir dans un tel enfer est particulièrement ardu!

- Climatiseur sur pattes à votre service ! des infos ?

-Il semblerait que leur mère soit dans les parages mais avec cet incendie, difficile de la voir! Pourrais tu fouiller la zone au sol? Elle est peut-être inconsciente. Quant à moi je chercherais depuis les airs! Le temps nous est compté, ces arbres sont à deux doigts de s'écrouler...

Sur ces mots, je grimpai à un arbre plutot solide tandis que mes vêtements changeaient graduellement au niveau de mon col pour recouvrir mon nez et ma bouche d'une coque en cristal, cela n'allait pas m'empêcher de respirer des particules mais pas autant que sans tout de même! Une fois à une bonne hauteur, tenue au tronc par des appuis en cristal, je regardais le sol en quête d'une tache de couleur sortant de l'ordinaire ou d'un geste de vie, bref, de la femme de l'adjoint du maire.

Je n'avais pas laissé Jack parler et encore moins protester. J'aurais peut-être dû attendre un peu, connaitre le fond de sa pensée. Si je l'avais fait alors j'aurais pu éviter ce piège naturel, j'aurais pu rentrer à la maison, m'installer devant mon bureau, savourer un café et me féliciter de cette nouvelle mission accomplie. Ou peut-être pas, j'aurais pu aussi me retrouver dans une situation bien pire. Et je ne serais pas rentrée à l'école. Mourir en sauvant d'autres vies, est-ce vraiment synonyme de sacrifice et de courage? Une des nombreuses questions que je me pose depuis des années mais dont je n'ai pas encore la réponse, mais un germe de cette dernière commençait à fleurir dans mon crane. C'est fou car j'y pense alors que je viens de justement froler la mort.

Fait étrange, l'incendie ne m'inquiétait plus, je n'en sentais plus la chaleur ni le poids sur ma poitrine, les feuilles roussies sous mon corps ne crissaient pas et je n'arrivais pas à identifier la nature du liquide, ni chaud ni froid, qui imbibait mon jeans déchiré. J'étais comme... étrangère à ce qui se passait là, je n'étais pas ici tout en l'étant. C'est à se demander si je ne suis pas décédée au final et que je suis une ame parmi tant d'autres, séparée de son corps, ne ressentant ni colère ni chagrin. Même les sons ne m'atteignaient pas! Je commençais sérieusement à penser que les psychopompes tardaient pour venir me chercher quand une douleur aigue pointa dans mon crane, me faisant grimacer et poser ma main sur mes tempes, les massant afin d'en chasser les maux. C'est alors que la tiédeur de ma paume me fit sursauter, provoquant à nouveau une décharge dans mon corps, cela venait de ma jambe... Avant même que je ne me demande pourquoi j'avais mal, et surtout pourquoi j'étais par terre, tout me revint en mémoire.

La température avait grimpé en flèche au pire moment qui soit. Comme Jack, j'étais partie à la recherche de la dernière civile, m'aidant de la hauteur pour avoir un plus grand champs de vision et éviter les flammes plus bas, n'étant pas protégée comme mon élève contre cet élément. J'avais vu son signal peu de temps après, au vu de la distance, j'avais pris une mauvaise direction, en soit ce n'était pas trop grave, on avait couvert une grande zone et c'était lui qui l'avait trouvé, c'était une bonne chose. Etait-elle morte? Blessée? Je le saurais bien en rentrant. Je n'avais pas senti la chute de la température cependant, trop focalisée sur le jeune Jack, une erreur de débutante car si je l'avais remarqué, je serais descendue sans attendre de me prendre ce piège vicieux qu'est la hausse subite de la chaleur... Fichu courant d'air...

La première chose qui alerta mes sens fut le bruit de verre éclatant, un son cristallin fort familier à force d'utiliser mon don. C'était mes appuis, un par un, ils explosaient à la base du tronc, remontant vers moi. Je n'avais pas hésité une seconde, pour ne pas être victime des éclats j'avais fragilisé la structure du cristal, le laissant s'effriter. Mais l'incendie était plus intense que je l'avais cru, le morceau de cristal sur lequel un de mes pieds était posé éclata, déchiquetant mon bas de pantalon, la chaussure et la chair. J'avais alors chuté et... voilà où j'en étais, sonnée, à terre, le cerveau au ralenti hésitant entre laisser ma gorge s'exprimer au sujet de la souffrance qui me déchirait et le dos et la jambe, et laisser mes poumons respirer. Le choc avait été si violent que j'avais l'impression d'étouffer! Ce qui n'était pas vraiment une impression au final... Groggy, je laissai encore mon esprit vagabonder vers cette question que je cogitai depuis un long moment. Alors? Ma mort est t-elle un sacrifice ou un acte de courage?

Une fois de plus, je ne trouvai pas la réponse, et cela m'énervait un peu. Cependant, un souvenir m'interpella, les mots d'un vieillard avec qui j'avais discuté à Paris, je m'en rappelais fort bien du sujet et de la date mais ce n'était pas ça qui m'intriguait pour l'heure, plutot une de ses répliques. La souffrance est physique, si tu te casses une jambe, tu as mal. Donc si tu es décédée, tu ne souffres plus. Ca tombait sous le sens, hormis les douleurs psychiques, si on suivait ce raisonnement, une ame souffrirait encore même en étant dans l'au-delà, mais... Ma jambe et mon dos était bien physique, donc... j'étais en vie. Cela me rassurait, je pourrais continuer à trier la paperasse et m'occuper de l'école. Mais pour ça, il me fallait bouger.

Cette idée ne fit qu'augmenter la douleur dans ma jambe, membre que je ne sentais pas spécialement tant elle était ankylosée, étais-je touchée au pied? A la cuisse? Etait-ce grave? Il me faudra voir cela avec les urgences, et donc me lever, maintenant! Après avoir vérifié que je ne m'étais pas déplacée une vertèbre en passant un bras tremblant dans mon dos, je me fis rouler sur le coté pour me retrouver sur le ventre. Ma tête m'élançait au point que l'idée de dormir ici me parut une bonne idée, je chassai cette pensée et poussai sur mes bras pour me mettre à quatre pattes, serrant les dents pour ne pas crier lorsque les cristaux incrustés dans ma chair bougèrent. Pas question de finir cuite ici, même si pas mal de personnes hors de cette forêt le souhaitent surement!

Mon corps était plus endommagé que je ne le pensais. Cela ne fit que confirmer le fait que je devais me dépêcher de sortir de cette fournaise. Bien que j'avais une enveloppe plus performante que celles vendues sur le marché, elle n'était pas étanche contre les éléments, encore moins le feu. Elle n'allait pas me protéger, moi, je veux dire l'être myrkiad caché dans ce corps, tremblante de douleur à cause de la sensibilité du système biologique que je commande. L'idée d'abandonner cette dernière et de rejoindre les pompiers m'effleura l'esprit, hélas, ce n'était pas possible. Je ne pourrais pas dire que je suis Astrid Randi, elle était connue pour être une humaine, et quand bien même je mettais le coeur en mode actif et que je me faisais passer pour une myrkiad victime du feu, j'étais en sous-vêtements, on me poserait trop de questions et je n'aurais aucune chance de reprendre mon déguisement, même avec un service d'hopital sous le secret! Non vraiment, j'allais devoir me débrouiller comme ça, des fragments logés je ne sais où et qui rendaient ma progression ardue.

Au bout d'un moment, respirer devint une véritable torture, j'avais beau mettre un tissu sur mon nez et ma bouche, la fumée parvenait à atteindre mes poumons. Mourir brulée ou asphyxiée, décidément, tout va de mal en pis! Jack me vint alors en mémoire, il avait probablement remarqué que l'incendie avait gagné en puissance. Le connaissant, il était surement revenu dans la forêt pour me chercher... Mais la forêt est immense, difficile de me retrouver donc! Epuisée, je me couchai sur le coté, grimaçant en sentant les cristaux entailler ma chair plus que de raison. Ne voulant pas vomir mes boyaux, je me gardais de regarder le massacre, préférant focaliser le peu d'énergie qu'il me reste pour trouver une solution. Hurler était peine perdue, le brasier couvrirait ma voix sans problème et utiliser mon arc était suicidaire. S'il m'explosait dans les mains... Non, ne pas y penser! Je n'avais malheureusement pas 36 000 solutions... Peut-être qu'une explosion était justement la bonne après tout? Tout ce que je devais faire, c'était d'indiquer à mon élève la "zone" où je me trouve. Une main remontant toujours mon col contre mon visage, je récupérais des feuilles mortes de l'autre, créant une petite boule de cristal avec, puis je la lançais aussi loin que je le pouvais. Répétant plusieurs fois le geste, j'envoyais les projectiles tout autour, entendant parfaitement le cristal se briser après un moment sous la chaleur ambiante. Sauf une. Cela me surpris car je n'étais pas proche de la ville pourtant et il était impossible qu'une partie, même petite, des bois soit épargnée. Cela voulait dire qu'une chose, en fait plusieurs, mais la principale était que c'était un endroit sécurisé où je serais probablement en sûreté. Prenant sur moi, je me traînais dans cette direction qui ressemblait vaguement à un lac, ou un étang, je ne saurais dire de là où je suis.

C'était bien un lac, assez petit pour qu'on voit distinctement l'autre coté et assez profond pour qu'on puisse utiliser des barques afin de la traverser, à en croire ce qui reste du ponton et des barques. J'étais à la fois soulagée et inquiète, reconnaissant fort bien l'endroit et sa géolocalisation... J'étais littéralement au milieu de la forêt! A quelques mètres près direction nord-ouest, certes, mais cela signifie la même chose: j'étais dans la merde. Oui, on va se passer des petits mots et être direct aujourd'hui! Incapable de me lever, encore moins d'avancer, avec la jambe en sang et probablement une artère sectionnée, je dois bien avouer que sur le coup, je suis incapable de savoir ce que j'ai, il y a tellement de sang... Et le brasier se fait de plus en plus menaçant... Une nouvelle quinte de toux me prend, secouant mon corps avec violence qui m'arracha au passage une plainte sourde tant ma gorge était irritée et ma voix avec. J'avais la désagréable sensation d'avoir des milliers de petites aiguilles dans la chair! Mais pas de temps pour me plaindre, il fallait me mettre à l'abri. D'ordinaire, être à proximité d'un point d'eau est une bonne chose en cas d'incendie, mais ce n'est le cas que lorsqu'on est pas gravement blessé, pas à cause des bactéries -bien que ce soit tout de même un risque- mais parce que l'hémorragie peut s'aggraver! Si je veux survivre, il me faudra rester le moins possible dedans donc... en espérant que mon élève me retrouve avant la fin de la catastrophe! Sinon, je pourrais aussi sortir de mon corps d'emprunt... mais la bêtise humaine est contagieuse il faut croire, car je préfère ne pas dévoiler ma nature, il y aurait bien trop de problèmes à gérer, comme la "mort" de la directrice si on retrouve mon déguisement calciné... Une migraine commence à poindre le bout de son nez alors que l'oxygène se raréfie, me faisant soupirer, lasse de penser à tout ça alors que je ferais mieux de m'occuper de moi avant des autres...

Après un regard vers la surface sombre et liquide, je retirai ma chemise en partie déchirée. Bon, tant pis pour la tenue, de toute façon, le plus important est de rester en vie, et pour ça, je dois bander mes blessures. C'est donc avec une moue hésitante que je daignais enfin regarder le carnage qui... Oh bon sang! Je fus pris d'un haut le coeur, sous le choc. Je n'aurais jamais dû me déplacer! Mon cerveau sous-oxygéné et l'adrénaline coulant dans mes veines, je ne m'étais pas rendue compte que certains cristaux avaient bougé au point d'agrandir les plaies, leurs pointes étant tranchantes comme des lames de rasoir... Les dents serrés à m'en faire mal, je tentais malgré tout d'appliquer le tissu sur la chair à vif, serrant autant que ma conscience pouvait le supporter. Le blanc fut bien vite changé en écarlate et, n'ayant pas d'autres vêtements pouvant servir de bandages rudimentaires, seules les blessures me semblant importantes furent recouvertes. Une fois cela fait, je me trainais vers l'eau et me laissais glisser dedans, appréciant sa fraicheur légèrement tiédit détendre mon corps meurtri. Je n'étouffais plus, moins en tout cas, et c'était un pur plaisir! Mais comme je l'ai dit, vu ma santé hasardeuse, il était préférable que je reste le moins possible dans l'eau, c'est donc avec regret que je remontai sur le bord et me réfugiai dans les broussailles avoisinant le point d'eau, les cheveux gorgés d'eau et le corps détrempé. M'apprêtant à attendre des heures l'arrivée du jeune Falcon, je fus bien surprise de le voir sortir de la fournaise et s'arrêter tout près de moi. Mes "feux de détresse" ont donc fonctionné? Tant mieux! D'un bras engourdi par la fatigue et le brusque changement de température qu'a dû endurer mon corps il y a quelques instants seulement, je fis remuer les feuilles roussies de mon abri de fortune, attirant son attention.

- Bon sang pendant un moment j'ai bien cru qu'ont vous avez perdu pour de bon ! Il faut qu'ont sorte de cette enfer, passez votre bras au dessus de mon épaule

Incapable de parler sans me mettre à tousser, j'obtempérai, calant mon bras sur sa nuque tandis qu'il s'occupait de soulever mes jambes.

- Bon, serrez les dents la blessure sur votre jambe va surement se réveiller... Une... Deux... Et trois !

Une nouvelle plainte s'échappa de mes lèvres quand je quittai le sol, certains cristaux avaient encore bougé et la douleur était semblable à un marteau qui se fracassait contre mes tempes, en rythme avec les battements de mon coeur. Mais mon calvaire n'était pas encore terminé, devant être hospitalisée rapidement, Jack ne perdit pas de temps et avançai dans le brasier, entreprenant une tentative de dialogue avec moi pour que je me raccroche à quelque chose autre que la douleur... Et pour vérifier que je tenais le coup, bien entendu.

- Astrid vous êtes avec moi ? Parlez-moi, dites quelque chose.Que c'est-il passé avec votre jambe ?

L'adrénaline faisait de moins en moins effet, laissant la place à une fatigue affreusement pesante. Ne pas dormir, ne surtout pas dormir, il me fallait tenir le coup encore quelques minutes, la médecine était suffisamment développée pour que je sois sauvable et je le savais, il me faut juste garder encore les yeux ouverts et surveiller ma température de près. Après avoir une fois de plus tousser à en cracher mes poumons -pas littéralement, heureusement pour moi-, je parvins à lui répondre avec un petit sourire qui se voulait rassurant, du moins, aussi rassurant que je pouvais le faire, tiraillée par le sommeil et la douleur atroce de ma jambe.

-Un peu fatiguée mais je suis là, ne t'en fais pas... Rappelle-moi de ne jamais employer mon don dans un incendie ok? Ca m'évitera de finir avec une jambe en compote...

Petite pointe d'humour auquel je ne me risquais pas de rire, n'étant pas en état pour cela, mais j'espérais qu'il comprendrait le message: il nous fallait sortir d'ici en vitesse!

Suis je restée consciente durant tout le trajet? Je ne saurais le dire, ma tête tournait, ma vue se brouillait. Chaque pas de Jack faisait tressauter ma jambe blessée, me faisait lacher une plainte sourde. Je ne pouvais pas lui en vouloir, le sol était accidenté, les feuilles traitres, et pour me préserver de la chaleur, il évitait autant que possible les foyers. Mes bras étaient comme soudés à son cou, ce qui serait parfaitement incorrect pour un membre du personnel dans une situation moins extrême mais là, j'avais l'impression que si je le lâchais, je tomberais. Les yeux mi-clos, la tête sur le torse de l'étudiant, je pouvais entendre que même lui n'était pas rassuré par ce qui nous entourait. Et tout ça était de ma faute, si je n'étais pas montée dans cet arbre, jamais j'aurais été blessé ainsi! Le coeur de ce pauvre Jack cognait dans sa cage thoracique, parfaitement affolé, tout comme sa respiration, à peine couverte par les crépitements des flammes.

- ... jambes... peux plus !

Sa voix me semblait venir de loin, très loin, étouffée par je ne sais quoi. Un pique de douleur me fit serrer les dents, me ramenant un peu à la raison avant d'être balayée par la souffrance et la fatigue. Je savais que ce n'était pas mon vrai corps qui était touché, c'était un autre, un faux, mais la douleur retransmise était telle que j'avais l'impression de mourir. Ma vue était bien trop troublée pour que je vois ce qui se passait avec l'étudiant, que je comprenne la situation, tout ce dont j'étais capable de faire, c'était de m'accrocher à ce mince fil de conscience qui me restait avant de sombrer. Il y eut alors des mains, étrangères à ma personne, qui vinrent prendre la place de celles de monsieur Falcon. Une poupée, j'avais un corps de poupée, aucune résistance, pas même mes bras qui enserraient le cou de l'étudiant il y a quelques secondes seulement. J'avais atteint mes limites et mes blessures étaient le coup de massue qui achevait le travail de la fatigue, j'en avais terriblement conscience.

- ...grand on... oche !

Les sirènes faisaient siffler mes oreilles mais je ne m'en préoccupais peu. Je sentais la dureté d'une civière dans mon dos et une main mettre un masque d'oxygène sur ma bouche et mon nez, rendant ma respiration plus facile. La personne qui s'occupait de moi semblait connaitre son travail, il fouilla mes poches en quête de la carte médicale qui lui donnerait tout les détails sur mon groupe sanguin et mes antécédents médicales, ainsi que mes allergies. Il tomba à la place sur une carte que je gardais tout le temps sur moi. Je ne craignais pas d'être hospitalisée, pour tromper la société, j'avais réussi à mettre dans mon dossier que j'avais une anomalie médicale connue par un seul centre médical réputé pour s'occuper des cas étranges des gens. En vérité, il s'agissait d'un centre médical s'occupant de Myrkiads déguisés et voulant rester cachés comme moi. Bientôt, je serais placée dans une chambre isolée et impénétrable par le corps médical sauf celui assigné par ce fameux centre. On m'extrairait de ce corps humain et on nettoierait mes poumons encombrés par la fumée tandis qu'on soignera mon corps d'emprunt. Cela prendra des semaines, je n'aurais pas de visites de la part de mes proches et mon secret sera gardé. Tout était bien qui finit bien.

Pourtant, quand l'urgentiste s'apprêta à héler le chauffeur, je lui agrippais le bras, me sentant mue par un regain d'énergie.

- Et l'étudiant? Il est blessé...
-Et ne vous inquiétez pas, on s'occupe de lui. Restez calme à présent!

Il faudra que je m'excuse auprès de Jack après tout ça. Si je n'avais pas commis d'erreur, nous n'aurions rien eu et on serait déjà de retour à l'école, peut-être à siroter un jus d'orange pour se détendre après cette mission périlleuse. Au final, on allait finir tout les deux dans un hôpital à manger des plateaux-repas plus qu'infect... Il était trop tard pour le regretter cependant, les portes de l'ambulance venait de se refermer sur la dernière image qui me restera en mémoire pendant un temps de cet incendie: le jeune Iota assisté par des urgentistes et des pompiers.