- Spoiler:
A mettre en boucle !
https://www.youtube.com/watch?v=t_kIn-QGpBU
27th of January
12.45 pm
Elle inspire.
Le vent du nord hivernal fait flotter doucement ses cheveux au grès de ses caprices. Il fait froid, cependant la fraicheur ne lui fait pas peur. Au contraire, elle se sent présente, enfin...
Saoirse regarde le ciel étoilé. Elle semble chercher une réponse refusant de lui venir, comme si la sagesse plurimillénaire des astres allait lui venir en aide.
Les sirènes des ambulances, des voitures de police, le simple ronronnement perpétuel de la ville se fait entendre plus bas. Pourtant, tout est calme. L'avantage d'être sur le toit d'un hôpital qui sait ? Elle s'y est hissée pour une raison particulière.... Profondément personnelle même à vrai dire. Elle regarde les quelques personnes qui vaquent dans la rue, les jambes dans le vide alors qu'elle est assise tranquillement contre le bord. Il y a quelques temps, elle aurait eu le vertige, aurait eu peur, maintenant, elle s'en fiche pas mal.
Et si je me jetais d'ici tant que je peux maintenir ma forme physique ?Elle jaugea l'idée. Ce serait facile ? Mais non, elle avait déjà essayé, sa concentration se brisait toujours avant de percuter le sol et elle ne pouvait rien d'autre que se réveiller, faisant face à son corps ensommeillé.
Elle soupire.
Se jeter d'un gratte-ciel, s'étrangler, se pendre, s'enfoncer un scalpel dans la gorge. Elle avait tout essayé mais rien à faire. Ce pouvoir qui s'était éveillé en elle ne représentait rien d'autre qu'un mécanisme spirituel d'auto-défense qui ne la laisserait pas mourir. Pas tant qu'elle ne le contrôlerait pas assez pour en finir véritablement.
Ou tout du moins ce n'était qu'une hypothèse. Elle ne savait foutrement pas si cela fonctionnerait. La seule façon de mourir serait via une aide extérieur, mais ça... Elle n'arrivait toujours pas à s'y résoudre.
Elle releve une fois de plus la tête. Les yeux rivés vers les étoiles. C'est donc ça ce que les grecs entendaient par la "tragoedia" ?... A moins que ce soit les romains ? Bah... Ca n'avait pas vraiment d'importance à l'heure actuelle.
Ses mains caressent doucement un petit objet cylindrique. Une sorte d'enceinte connectée qu'elle venait de voler à un autre patient. Il était lui aussi dans le coma, mais, contrairement à elle il ne pouvait pas être conscient sous cette forme. "La musique apaise le patient" que disait le médecin alors qu'elle observait la discussion avec sa famille.
Saoirse laisse s'échapper un soufflement désapprobateur.
Quand on dort, on rêve. La musique n'y joue absolument rien. Elle se fit néanmoins le mémo mental de la rendre quand elle aurait fini. Elle n'était pas un monstre non plus.
Elle se lève, doucement, s'étire futilement. Son corps astral n'en a pas besoin et elle ne le sait que trop bien mais elle n'en a que faire, elle compte bien profiter de chaque sensation qu'elle pourrait ressentir tant qu'elle resterait tangible.
Elle pose l'enceinte reliée à un lecteur portable et appuie sur un des boutons afin de lancer la musique. Elle est tendre, mélancolique et quelque peu assez rythmée pour convenir à son style.
Alors, marchant avec grace, le bruit de ses cuissardes tapotant avec légèreté sur le sol, elle commençe à danser.
Elle y va tout d'abord doucement, de longs mouvements langoureux, ses bras suivant avec émotion le flot de la mélodie, sur pointe, elle se déplace les yeux fermés, un autre avantage de ce corps astral. Ne se laissant porter que par ses sens elle ressent la moindre fluctuation en elle et tente de s'accorder aussi bien au son, qu'au vent hivernal qui caresse son corps tel les mains d'un amant possessif.
Sa tenue bouge elle aussi avec elle, comme dans un accord tacite avec la jeune femme. L'énergie autour d'elle n'est qu'un simple fil qu'elle se contente de suivre, ses doigts caressent des formes inconnues, un rêve de plus peut être ?
Si seulement.Oui. Si seulement tout cela n'était rien d'autre qu'un rêve, si seulement elle pouvait se réveiller enfin et voir les visages de ceux qui comptent tant pour elle. Quand elle était petite, elle aurait aimée devenir une héroïne danseuse. Gracieuse, combatant le mal avec héroïsme et gloire. Maintenant, elle se rend compte à quel point cette idée lui semble stupide. Non, les héros sont oubliés, les héros meurent, rien n'est éternel et au final le pouvoir n'est rien de plus qu'un poids qui tue, lentement, mais sûrement.
Oui... Si seulement le monde entier pouvait être débarrassé de nous autres "dotés"...Mais elle continue de danser, inexorablement, comme une échappatoire contre la fatalité, car... Peut être que si elle danse suffisamment, alors peut être telle une déesse japonaise elle pourrait attirer l'oeil bienfaiteur d'une force supérieure qui la libèrerait.
Un rire amusé et cristallin s'échappe de sa gorge en direction du néant.
Non, elle est bien naïve. Rien ne la sauverait. Soit elle se réveillerait. Soit elle resterait dans cet état jusqu'à qu'elle en meurt, artificiellement, ou non. Quelle ironie...
Premier arabesqueIl y avait définitivement une forme de fuite en avant dans la façon dont elle dansait avec tant d'abandon, comme si le moindre pas pouvait, en effet, la rapprocher de quelque chose, comme si l'oubli serait éternel.
Deuxième arabesqueUne épaule après l'autre, son corps tendu, elle s'accroche à un partenaire imaginaire. Autour d'elle commence à se manifester des petites lucioles convoquées par son pouvoir, rien de très visible de loin mais quelque chose qui, de près ajoutait à l'enchantement de la scène.
Troisième arabesqueElle se ressent vraiment, enfin, alors qu'elle entre en pleine synchronisation avec son pouvoir, elle sent son propre souffle, le battement illusoire de son coeur, le bruit du tissu contre sa peau bougeant avec elle.
Quatrième arabesqueOui... Elle vibre, elle sent le froid lui mordre la peau, le contact du sol contre ses chaussures, le ballet de ses cheveux contre son corps. Elle exulte en ce court instant. Il y a quelque chose de pur là dedans, de profond.
Un sourire se dessine sur son visage alors qu'elle garde les yeux fermés et danse de tout son coeur.
Enfin, la musique s'arrête doucement et elle ralenti, posée en pointe, les bras ouverts vers le bas, les lucioles convoquées inconsciemment tournant autour d'elle avec une douceur infinie. Dans sa tête se joue une foule, et, enfin, elle même devant cette salle imaginée qui se lève pour l'applaudir, elle se sent bien.
Elle se sent en vie.