— J'ai la dalle...

Je déambule en ce début de soirée dans les rues de cette belle cité qu'est Laurel. Pour une fois je ne glandouillais pas tranquillement dans mon foyer. En effet, la S.A.D. m'a, pour une fois, confié une mission. En somme un énième terroriste anti-doté qui s'apprêtait à faire des siennes. Le type avait prévu de faire sauter plusieurs écoles primaires et de faire porter le chapeau à plusieurs dotés célèbres. Des jokers, mais aussi quelques criminels bien connus. Si son plan c'était déroulé sans accroc la ville aurait été en proie à un chaos total. Il avait bien préparé son coup, s'assurant que les explosions aient lieu au moment où ces "cibles" étaient présentent sur les lieux. Il a même été jusqu'à trafiquer les bombes pour que certaines soient des plus incriminantes. Par exemple l'une d'elle était composée d'azote liquide, afin de geler les victimes. Le pauvre Captain Igloo (en vrai, je ne connais pas son blase, je sais juste que c'est un héros usant de glace) qui faisait souvent sa patrouille dans le coin aurait été le coupable idéal. Ce terroriste avait même, pour s'assurer que son plan fonctionne, piéger ses bombes pour que tout ce qui s'en approche se fasse tuer. Malheureusement pour lui, on m'envoya pour mettre un terme à son bordel. J'ai déminé les écoles, traqué ce salopard et je lui ai fait avaler ses dents avant de le remettre à l'Agence. Ça m'a crevé, littéralement, une dizaine de fois. Mais bon, c'est le boulot.

Quoiqu'il en soit, j'avais besoin de me remplir la panse. Ce qui est bien à Laurel c'est qu'il y a des restaurants pour à peu près toutes les cuisines du monde. Je pouvais manger indien un soir et antillais le lendemain. C'est pratique, avant toute cette mondialisation, je devais m'amuser à voyager à droite à gauche pour retrouver des saveurs exquises spécifiques à certaines régions du globe. D'ailleurs, j'étais toujours amusé de voir les cuisiniers occidentaux ignorer pendant longtemps l'unami. Tout un pend de saveur qu'ils ne comprenaient pas. Un goût qu'ils n'arrivaient même pas à conceptualiser. Heureusement que cela change depuis quelques décennies, la cuisine connaissant de nouveaux sommets avec un mélange des traditions gastronomiques de chacun.
J'aimais bien cuisiner, mais pendant la majorité de ma vie cette tâche était réservée aux serfs, de fait, j'ai du mal, même aujourd'hui, à m'adonner à cette tâche. Je préfère voir une tierce personne me préparer mon repas plutôt que de m'embêter à le faire moi-même. C'est stupide, mais c'est là des vieilles habitudes de saigneur que je me traîne.

— Tsssss...

Je suis dans une rue bordée de nombreux restaurants. Il semble y en avoir pour tout les goûts, si bien que je ne sais pas où aller. Je fais un premier passage, observant les cartes et les menus. Je regarde aussi si beaucoup de personnes dînent ou non, un bon indicateur pour savoir si ce qui est servi est dégueulasse ou non.

— Fait chier.

Je tire à pile ou face. Je marche et si je devine correctement le côté de la pièce, alors je m'arrêterai et m'installerais dans le restaurant le plus proche. Je lance la pièce une fois, je dis pile, c'était face. Je la relance une seconde fois, restant sur le pile, c'est encore une fois la face qui tombe. La troisième fois, entêté comme je suis (et parce que maintenant faudrait vraiment que j'ai pas de cul pour que ça foire), je reste sur le pile et c'est bien de ce côté là que la pièce retombe dans ma main. Je rentre directement sans regarder l'enseigne. Un serveur m'accoste et m’emmène directement à une table un peu à l'écart. Ce n'est pas spécialement bondé, ce qui me laisse perplexe. J'espère que je ne vais pas crever d'une intoxication alimentaire, je suis assez mort pour une journée.

— …

Je sirote le verre de whisky que l'on vient de m'offrir. La scène avait été un peu surréaliste et m'a pris de court. Je ne m'attendais pas spécialement à ce que, dès que j'ai le cul posé dans ce restaurant, un démon ne se pointe et taille le bout de gras. Puis pas n'importe quel démon aussi. Black Beast, illustre juge des enfers et des flammes. Créature que j'ai croisé quelques fois au cours des millénaires et qui trouve ma punition trop douce. Bref, je n'appréciais pas forcément le bestiau, mais il n'était pas méchant, avec moi du moins. Ma malédiction l'empêche de pouvoir châtier mon âme pendant toute une éternité dans son domaine infernal, donc il me laisse tranquille, d'habitude. Je savais déjà que son maître, le serpent, était dans cette cité. Mais je suis surpris de le voir ici aussi, en chair et en os. Enfin pas vraiment. Visiblement, il était coincé dans le corps d'un gars, ce gars semblant être son fils. Je vide mon verre, me mordant la langue pour ne pas pouffer. Mais je ne peux pas retenir plus longtemps ce que je veux dire.

— So... Ton daron fait souvent ça ? Prendre le contrôle de ton corps pour te faire sociabiliser avec les gens ? Enfin outre le fait que ça doit être un peu spécial d'avoir ton propre père en toi, paye l'intimité. J'espère qu'il y a un mode off dans votre collocation, sinon bonjour le trauma de savoir que le paternel voit tes moindres actions.

Je me resserre un verre, j'en ai besoin. C'est pas tout les jours qu'une entité démoniaque vous demande de devenir poto avec son rejeton. Le pauvre gars est rouge de honte, même s'il essaye de reprendre ses esprits.

— Hé bien Blake, enchanté. Yup, je suis Caïn. Et oui, tu peux faire couler l'alcool à flot, du moment que tu invites.

Oui, j'allais profiter de la situation un poil. Mais quand une occasion se présente il faut la saisir. Et de toute façon, je suis un ami déplorable, donc autant le mettre dans le bain tout de suite.

— Comme tu le sens Blake. Tu bosses ici après tout, donc à toi de voir si tu veux qu'on discute là ou si tu souhaites qu'on se balade. Perso j'm'en cogne du moment que je becte. Pour ce qui est d'être une connaissance de ta famille. Disons que j'ai croisé ton padre quelques fois oui. Comme à peu près tout ce qui peut être divin ou démoniaque et aimant crapahuter sur notre bonne vieille Terre. Plus sérieusement, je suis curieux de savoir comment vous fonctionnez. Pourquoi Black est en toi ? Genre, je me cogne un peu de vous autres les démons, mais de ce dont je me souviens quand vous choppez un corps vous êtes pas du genre à le partager avec un autre esprit.

Je me siffle mon troisième verre, rapidement, avant qu'il ne se rende compte que je vide lentement, mais sûrement la bouteille qu'il avait posée sur la table.

— Et...T'as vraiment pas d'ami à part le porteur de lumière ? Parce que si y'a que lui et potentiellement moi...Well t'es mal barré socialement...Juste pour te prévenir.